Un cap territorial wallon pour le Nord-Pas-de-Calais ?

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Comprendre comment les choses se passent chez soi, et a fortiori, décider de l’organisation interne desdites choses gagne – c’est bien connu mais peu pratiqué – à s’inspirer de ce qui se fait hors de chez soi. C’est vrai dans (presque) tous les domaines, et certainement en matière d’aménagement du territoire. Aussi, après nous être penchés, dans les opus précédents, sur le territoire du Grand-Duché du Luxembourg (5925) et sur les territoires des régions françaises Lorraine et Champagne-Ardenne, penchons-nous, dans cet opus, sur le territoire de la troisième région la plus proche de la Wallonie, le Nord-Pas-de-Calais.

La géographie politique européenne est à ce point ancrée dans nos représentations qu’il est généralement peu aisé de s’en extraire. Les continuités territoriales par-delà les frontières sont pourtant réelles. Deux régions périphériques, qui sont séparées par un trait sur une carte de géographie politique, auront parfois plus en commun, entre elles, que ces mêmes régions avec leurs régions capitales respectives. Plusieurs aspects concourent à ça : relief, faciès agricole, hydrographie, marché du travail, proximité culturelle, réalité linguistique…

La Belgique, ce « petit Etat sans nation », vit cette situation plus que tout autre pays. De nombreuses sous-régions du pays, en Flandre comme en Wallonie, se prolongent irrésistiblement de l’autre côté de la frontière. Richesse inestimable pour les uns, preuve irréfutable de l’anomalie de l’Etat belge pour les autres, cette situation s’offre particulièrement à voir du côté du Nord-Pas-de-Calais. En effet, la région nordiste ne peut s’appréhender sans ses continuités en Belgique, qui sont nombreuses et variées.
Côte d’Opale et Côte Belge présentent ainsi un faciès maritime très proche.

Les paysages du plat pays qui s’étend de Dunkerque à Lille sont étrangement similaires à ceux de Flandre-Occidentale. La toponymie très néerlandophone y rappelle d’ailleurs l’ancrage historique de la région dans le monde culturel néerlandais.

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Occupation du sol dans le Nord-Pas-de-Calais et environs : on voit bien l’arrimage de la région dans l’ensemble Benelux avec des continuités territoriales évidentes (crédits : Landcover, 2000)

Les cours de la Lys et de l’Escaut, de Lille, Armentières, Roubaix et Tourcoing en France, à Mouscron, Courtrai, Gand et Saint-Nicolas en Belgique, constituent un ensemble socio-industriel unique en son genre. Il faut dire que jusqu’au milieu du 20ème siècle y a prospéré, le long de ses berges, une industrie textile d’importance majeure, qui a longtemps valu à la région la convoitise souvent manifestée des puissances voisines.
La ville de Lille constitue d’ailleurs une grande conurbation transfrontalière avec ses voisines françaises de Roubaix et Tourcoing et ses voisines belges de Mouscron et Courtrai. Là où l’industrie, pour l’essentiel textile, et son cortège de logements ouvriers associés, a colonisé progressivement tout l’espace, la frontière belgo-française disparaît, laissant, ici et là, le trottoir d’un côté d’une rue à la France et le trottoir d’en face à la Belgique.

Enfin, s’il est une continuité qui touche particulièrement la Wallonie, c’est bien le prolongement français du sillon Sambre-et-Meuse : le bien nommé Bassin Minier. Plus qu’un chapelet de cités industrielles, le Bassin Industriel constitue une vaste conurbation est-ouest, qui cumule près d’un million et demi d’habitants répartis entre Valenciennes, Douai, Lens et Béthune. Egrenant son cortège de corons, de terrils et de charbonnages, il présente une organisation territoriale assez similaire à la Dorsale Wallonne, entre Mons-Borinage et Liège.

Autant d’exemples de continuités qui démontrent la grande imbrication des territoires nord-pas-de-calaisien et belge, et wallon en particulier. A se pencher sur leur existence, on comprend vite que l’appartenance à la France de cette région n’est pas d’une évidence absolue. Sans la pression continue exercée pendant plusieurs siècles par le pouvoir royal français, cette région ne compterait sûrement pas aujourd’hui parmi les 22 régions françaises. L’attrait pour ce coin d’Europe était grand en effet, ses ports, son réseau de canaux inégalé, ses villes importantes, ses activités manufacturières diverses, dont textile, sa population nombreuse, faisant de cette Flandre élargie une région d’une rare opulence.

Et puis, vu depuis la France, il n’y avait que dans le nord que le territoire national n’était pas vraiment circonscrit naturellement. Là-haut, nulles Alpes pour déterminer « naturellement » le commencement de l’Italie, nuls Pyrénées pour déterminer le commencement de l’Espagne, nul Rhin pour déterminer le commencement de l’Allemagne. Conclusion, rien de clair et décisif, pas même de vagues « collines ardennaises », pour faire office d’ultime frontière septentrionale naturelle au territoire national. Le pré-carré français put donc légitimement s’étendre dans cette Flandre élargie. A la faveur de plusieurs guerres, dont les ultimes ont participé de la renommée d’un Louis XIV bien épaulé par Vauban, le Nord-Pas-de-Calais s’est installé dans le giron français.

Si les continuités avec les territoires voisins sont demeurées et, pour certaines, se sont renforcées, la région a progressivement pris le pli français. L’appareil national d’homogénéisation des particularismes régionaux s’est mis en branle. Et des Flandre et Hainaut originels, l’héritage est aujourd’hui pour le moins résiduel, dans la toponymie par exemple. L’architecture, l’urbanisme, les paysages ont, par exemple, été d’autant plus francisés, qu’ils ne l’étaient pas originellement. De place royale, en route nationale plantée, en architecture classique ou haussmannienne, il fallait convaincre et oublier la conquête. Une province/région française en tant que telle était à mouler. Aujourd’hui, le résultat est là. De l’importance de Calais dans la culture française, à la place de Lille dans l’économie nationale, aux prouesses de Lens dans le football tricolore, personne ne remet en cause aujourd’hui le caractère éminemment français de la région.

Une Région très petite, mais très dense et très urbanisée

Cette région de conquêtes est une des plus petites du territoire français (2,3% de la superficie du pays). Elle est constituée de deux départements, le Nord au nord-est et le Pas-de-Calais au sud-ouest. C’est une région frontalière qui partage 350 kilomètres de frontière avec la Belgique. La frontière est très découpée et particulièrement perméable. Les dynamiques territoriales sont loin de s’arrêter à la frontière des deux pays, d’autant que les connexions routières et ferroviaires sont nombreuses. Pour ce qui est de la Wallonie, Maubeuge est à un mouchoir de poche de Mons et pas vraiment plus loin de Charleroi ; Valenciennes est à la jonction avec la Dorsale Wallonne, Quiévrain, Boussu et Mons n’étant qu’à quelques encablures ; enfin, Lille est certainement devenue la ville-centre de l’ensemble métropolitain qui inclut Mouscron et Tournai.

Reste que ces dynamiques territoriales sont très dépendantes de la voiture, les liaisons ferroviaires de région à région étant fortement sur le déclin, tant dans les lignes en service que dans l’exploitation qui en est faite. Ainsi, la connexion ferroviaire entre Maubeuge et Charleroi, par Jeumont et Erquelinnes, est exploité aujourd’hui pour l’essentiel pour le trafic marchandises. Plus au nord, Valenciennes et Mons ne sont pas connectés par le rail, alors que la ligne ferroviaire de la Dorsale Wallonne s’interrompt à quelques hectomètres de la frontière à Quiévrain pour reprendre quelques hectomètres plus loin son parcours dans le Bassin Minier. Enfin, les connexions ferroviaires dans la métropole lilloise, vers Tournai, Mouscron ou Courtrai, sont loin d’être optimales, le service ayant été fort rationalisé ces dernières années. Dans ce faible soutien au développement ferroviaire transfrontalier, certains ont vu un lien avec la montée en puissance du réseau grande vitesse. L’attractivité de celui-ci a en effet indéniablement profité de la disparition progressive des liaisons transfrontalières historiques.

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La maîtrise de l’étalement urbain est un des grands défis de l’aménagement du territoire nord-pas-de-calaisien (crédits : SRADDT)

Le Nord-Pas-de-Calais est aussi une région maritime avec plus de 140 kilomètres de littoral (falaises et dunes essentiellement), qui fait face au Kent au Royaume-Uni. La région est composée de plaines, dans l’ouest, avec la Flandre française et les plaines maritimes, et de collines, avec l’Avesnois, l’Artois et le Boulonnais).

Ses 12.414 km2 en font une région un quart plus petite que la Wallonie et ses 16.844 km2. Sa faible superficie n’en fait pas pour autant un nain démographique. Au contraire, ses quatre millions d’habitants placent la région nordiste comme une des plus peuplées et des plus denses du pays. Cette densité de 320 habitants par km² explique un contexte urbain et artificialisé comparable à la région parisienne, en tout cas, pour la métropole lilloise et le Bassin Minier.

Un territoire dominé par la métropole lilloise

L’urbanisation y couvre 13 % du territoire et les grandes agglomérations y polarisent deux tiers du territoire régional. Si la région totalise près de la moitié du stock national de friches industrielles, sa dominante reste agricole. L’agriculture intensive y occupe l’essentiel du territoire, soit 70 % contre 53 % dans le reste du pays. L’arrimage de la région à la Belgique voisine s’en ressent au niveau de l’organisation de l’urbanisation. Les deux grandes zones urbanisées, la métropole lilloise et le Bassin Minier, se prolongent sans discontinuer en Belgique. La métropole lilloise s’organise autour d’une ville-centre, la ville de Lille et ses 230.000 habitants, quand le Bassin Minier développe un réseau de villes petites et moyennes, plus ou moins articulées entre elles, avec comme têtes-de-pont Valencienne (45.000 habitants), Douai (42.000 habitants), Lens (35.000 habitants), Béthune (25.000 habitants).

Les autres aires urbaines d’importance sont, d’une part, Maubeuge (30.000 habitants) à l’extrême est, et d’autre part, les villes côtières comme Dunkerque (90.000 habitants), Calais (70.000 habitants) et Boulogne-sur-Mer (42.000 habitants) à l’ouest. Dans une région rendue, pour une bonne part, exsangue avec la désindustrialisation des années 1960-80, tant au niveau de l’industrie textile que de l’extraction du charbon, la reconversion est difficile et laisse de nombreux territoires de côté.

Dans ce contexte difficile, Dunkerque tire son épingle du jeu : autour de son port, rendu attractif par la proximité de Londres, Anvers et Rotterdam, un pôle industriel assez compétitif a su être développé, avec des activités de raffinerie et de sidérurgie au bord de l’eau. Le pôle valenciennois s’en sort aussi relativement confortablement. En ayant misé sur un développement urbain très qualitatif et la diversification du tissu économique, la ville réussit à échapper aux difficultés plus preignantes du reste du Bassin Minier.

Enfin, s’il existe un pôle qui rayonne dans une large mesure dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est bien Lille. La métropole nordiste a su, à la faveur de la localisation en son sein du raccordement des lignes de trains à grande vitesse Paris-Londres-Bruxelles, s’imposer comme une ville compétitive dans le cœur de l’Europe, à mi-chemin entre trois des villes aujourd’hui parmi les plus attractives d’Europe. Au-delà de l’implantation du quartier d’affaires Lille-Europe, toute la ville avec ses qualités patrimoniales bien affirmées a été ré-investie. Aujourd’hui, c’est l’ensemble de la métropole, avec Villeneuve-d’Ascq, Roubaix, Tourcoing et les satellites belges, qui est devenu une conurbation dynamique avec de vraies perspectives de développement.

L’hydrographie d’une région joue un rôle premier dans l’orientation que prend son développement. Celle du Nord-Pas-de-Calais ne déroge pas à cette règle. Si la région est à ce point tournée historiquement vers son voisinage nord, et pas uniquement pour le commerce des tissus, c’est parce que le Nord-Pas-de-Calais forme avec la Belgique voisine un même grand bassin hydrographique. Les mêmes cours d’eau qui commencent leurs routes dans le Nord-Pas-de-Calais la poursuivent plus au nord où ils se jettent dans la mer, souvent après s’être rejoints, dans quelques deltas ciblés. Il en est ainsi de la Lys, de la Scarpe, de l’Escaut et de la Sambre. Cette grande richesse hydrographique, qui a façonné ses grandes plaines du nord, s’est enrichie d’un réseau fouillé de canaux, pour rencontrer au mieux les besoins des industries du Bassin Minier et de la région de Lille pendant la Révolution Industrielle.

Une économie qui peine à redémarrer partout

L’économie du Nord-Pas-de-Calais est caractérisée par son affirmation très ancienne. En raison de sa situation géographique favorable, l’agriculture et ses dérivatifs (activités brassicoles, lin), le textile et le commerce prospèrent sur son territoire depuis le Moyen-Age. La révolution industrielle a donné un essor considérable à ces activités traditionnelles. En outre, la présence de charbon a permis le développement d’une industrie lourde très importante.

La fin des Trente Glorieuses a coïncidé avec le déclin des charbonnages, qui alimentait en énergie l’industrie lourde de la région. Ces difficultés structurelles se sont ajoutées à la crise économique : des trois grands secteurs qui étaient les piliers de son économie, charbon, acier, textile, seuls les deux derniers subsistent encore, mais dans des proportions nettement moindre. Ainsi, la dernière mine de la région a fermé en décembre 1990. La sidérurgie s’est déplacée de la Sambre et du Valenciennois, à Dunkerque, pour valoriser dès son arrivée par la mer le minerai bon marché. La pétrochimie s’est également installée sur la côte. Le textile résiduel s’est spécialisé et automatisé, pour faire face à l’importation des grandes séries. En l’état, le secteur secondaire n’occupe plus que 33,8 % de la population active (28,9 % pour la France).

Au niveau économique plus général, le bon raccordement, au niveau des transports, de la Région à l’Europe du Nord-Ouest, en particulier au niveau des lignes à grande vitesse (Londres, Paris, Bruxelles, Cologne, Anvers, Rotterdam, Amsterdam) et du réseau autoroutier particulièrement fouillé, lui permet de bénéficier de retombées importantes.
Malgré un retard initial sur d’autres territoires, la région a connu une rapide tertiarisation, 62,8 % des emplois relevant de cette catégorie. Le développement régional s’appuie sur des compétences fortes et historiques, comme la vente par correspondance (la Redoute, 3 Suisses, Damart), la grande distribution (Auchan), les transports et la logistique. Le développement du secteur tertiaire s’appuie sur le réseau des villes moyennes et surtout sur la métropole lilloise, qui concentre 50% des services supérieurs de la région.

Au niveau agricole, la région est caractérisée par une agriculture très intensive, avec des grandes cultures (céréales, betteraves, pomme de terre) qui occupent une grande partie du territoire. On y observe le même phénomène de concentration des activités agricoles que dans le reste du pays, de 1988 à 2000, le nombre d’exploitations agricoles ayant chuté de 31.156 à 18.036, pour une surface agricole utile (SAU) moyenne qui passait de 28 hectares en 1988 à 46 hectares en 2009.

La protection de la surface agricole utile régionale est un des enjeux prioritaires retenu par le Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire (SRADDT). En 2006, la Région se mettait en effet d’accord sur un nouveau schéma d’aménagement. Par celui-ci, les édiles régionaux tentaient de concilier au mieux les nombreux intérêts présents sur le territoire et d’en permettre le bon développement. La recherche de durabilité et la protection du cadre naturel étaient par ailleurs centraux dans les préoccupations.

Des orientations territoriales incomplètes pour la Wallonie

Le SRADDT déploie en ce sens une action très volontaire pour limiter l’étalement urbain, un phénomène très grave dans le Nord-Pas-de-Calais. Si le schéma vise une meilleure structuration du territoire entre grandes métropoles et une meilleure articulation entre pôles de ces grandes métropoles, il n’autorise pas un comblement de tous les espaces interstitiels internes aux aires métropolitaines, bien au contraire. Ainsi, quand il intègre dans la métropole lilloise l’ensemble du Bassin Minier, ce n’est pas pour à terme autoriser l’urbanisation entre Lille et la grande conurbation est-ouest. Très clairement, le parti est pris, dans la définition de ce grand ensemble, de ne pas s’articuler avec la Dorsale Wallonne et le pôle de Mons. Car si la métropole lilloise dans la SRADDT intègre un peu de Belgique, c’est du voisinage wallon et flamand immédiat de Lille dont il est question, avec Tournai, Mouscron et Courtrai. Dans le reste du territoire régional est mise en place une grande métropole du littoral qui associe les pôles urbains et industriels assez importants de la côte.

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La coopération territoriale jusqu’au-delà des frontières, constitue un axe majeur de l’aménagement du territoire nord-pas-de-calaisien (crédits : SRADDT)

A la vue d’une telle organisation spatiale, on ne peut que regretter que toutes les continuités transfrontalières qui structurent les dynamiques territoriales entre Nord-Pas-de-Calais et proche voisinage belge ne soient pas soutenues. Dans une juste poursuite d’un développement territorial durable, il y a pourtant une nécessité première à ne pas aller, pour des raisons de découpages administratifs ou de divergences politiques, contre les processus territoriaux naturels. En les canalisant, ce sont eux qui offrent les solutions les plus durables pour l’aménagement du territoire de demain. Il est piquant – ou rassurant ? – de noter que côté wallon, le projet de SDER acte dans sa structuration les mêmes continuités au-delà des frontières – et n’acte pas celles que le SRADDT n’acte pas. Reste qu’on pourra regretter dans cette organisation spatiale le faible soutien accordé au développement ferroviaire, ce dont la durabilisation des dynamiques transfrontalières a tant besoin pourtant.