Le 26 novembre dernier, à l’instar d’autres associations et citoyens, la Fédération Inter-Environnement Wallonie a introduit un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle à l’encontre du décret communément appelé « DAR »[[« Décret du 17 juillet 2008 relatif à quelques permis pour lesquels il existe des motifs impérieux d’intérêt général », publié au Moniteur belge du 25 juillet 2008.]] .
On pourrait très schématiquement décrire le DAR en ces termes : une liste de projets pour lesquels des motifs impérieux d’intérêt général sont avérés est établie. A la différence de la procédure ordinaire de délivrance des permis, une fois le permis délivré par l’autorité compétente, celui est soumis pour ratification au Parlement lequel disposera d’une délai de 60 jours pour ratifier le permis par décret. A défaut de décret de ratification dans ce délai, le permis est réputé « non octroyé »[[Article 3 al.2 du décret du 17 juillet 2008.]]. Enfin, le décret du 17 juillet 2008 procède d’ores et déjà à la ratification de 13 permis relatifs à divers projets[[Articles 5 à 17 du décret du 17 juillet 2008. Il s’agit de projets se rapportant aux actes et travaux relatifs à l’aéroport de Liège-Bierset, l’aéroport de Charleroi, le RER, la station d’épuration du Hain, le projet Fedex à La Hulpe.]].
Le recours de la Fédération porte uniquement sur les dispositions générales du décret en non sur les dispositions spécifiques relatives aux permis faisant d’ores et déjà l’objet d’une ratification parlementaire.
Le moins que l’on puisse dire c’est que ce décret a fait couler beaucoup d’encre avant même son adoption en juillet 2008. Après avoir subi la critique de la section de législation du Conseil d’Etat[[Avis 44.320/4 de la section de législation du Conseil d’Etat du 7 mai 2008.]], les auteurs du texte n’eurent d’autres solutions que de le revoir. Cela fut-il suffisant? Tout porte à croire que non…
En effet, une dizaine de recours ont été introduits devant la Cour constitutionnelle[[Pour prendre connaissance des recours introduits, vous pouvez consulter le site de la Cour constitutionnelle http://www.arbitrage.be/ sous la rubrique « affaires pendantes ».]]. Les contestations ne sont donc pas le seul fait de la Fédération mais émanent également d’un ensemble de citoyens qui se posent de nombreuses questions quant à la validité de ce décret. Parmi les requérants, nous pouvons relever des associations, des particuliers, une société et même le Gouvernement flamand[[Tous les recours diligentés ne sont pas nécessairement dirigés contre toutes les dispositions du décret du 17 juillet 2008.]]. Preuve en est que ce décret en interpelle plus d’un.
L’enjeu réel du DAR
Avec le mécanisme mis en place, ce n’est plus le Conseil d’Etat qui demeure la juridiction compétente en cas de recours de tiers (le Conseil d’Etat est compétent pour sanctionner les actes administratifs) mais bien la Cour constitutionnelle dès lors que la ratification par le Parlement se fait par l’adoption d’un texte législatif [[Les recours en vue d’obtenir la censure d’un texte législatif sont introduits devant la Cour constitutionnelle.]] .
Les auteurs du texte vous diront certainement que, quand bien même le Conseil d’Etat ne serait plus compétent, les citoyens disposeront toujours d’un recours devant la Cour constitutionnelle… Le hic, c’est que la Cour constitutionnelle ne dispose pas du même champ d’intervention que le Conseil d’Etat . Et cela, les auteurs du texte le savent pertinemment bien!
En effet, les compétences de la Cour constitutionnelle ne lui permettent pas de vérifier la légalité des procédures d’instruction précédant l’octroi d’un permis. Ainsi, à titre d’exemple, la Cour constitutionnelle pourra refuser d’annuler un décret ratifiant un permis alors même que la procédure d’évaluation des incidences réalisée au cours de l’instruction du permis n’aurait pas respecté les dispositions légales et communautaires. La Fédération Inter-Environnement Wallonie se pose donc un certain nombre de questions en ce qui concerne le recul potentiel de cette nouvelle procédure en terme de respect du droit de l’environnement et, par conséquent, de protection de l’environnement.
Donc, sous le faux prétexte de vouloir associer le Parlement aux projets pour lesquels il existerait des motifs impérieux d’intérêt général, le Gouvernement n’entend rien faire d’autre que de court-circuiter les recours de citoyens et d’associations devant le Conseil d’Etat[[La Cour constitutionnelle est compétente pour connaître de la violation de certaines dispositions: des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’Etat, des Communautés et des Régions; ou des articles du titre II « des Belges et de leurs droits » et des articles 170,172 et 191 de la Constitution.]].
Donner d’un côté pour reprendre de l’autre
Au-delà des arguments strictement juridiques soulevés dans le cadre des divers recours diligentés devant la Cour constitutionnelle contre le décret du 17 juillet 2008, ce dernier pose question en terme de bonne gouvernance et relate l’incohérence de certaines politiques menées par le Gouvernement.
Illustration… Alors qu’un projet de Charte associative devrait probablement voir le jour dans les mois à venir en vertu duquel les pouvoirs publics accorde de la reconnaissance au monde associatif et témoigne de leur volonté de renforcer le dialogue avec celui-ci, certains signataires de la Charte adoptent un décret dont l’objectif non dissimulé est de supprimer les recours, notamment des associations, devant le Conseil d’Etat. Or, ce dernier constitue probablement la juridiction la mieux à même de statuer sur les problèmes environnementaux et d’aménagement du territoire de part son expertise développée depuis des années sur ces thématiques.
Interpellant non? Quelle cohérence entre le fait de (souhaiter) valoriser le secteur associatif d’une part, et le fait d’adopter un texte destiné à priver les associations environnementales d’un recours effectif d’autre part?
Quid de la Convention d’Aarhus ?
Le Gouvernement ne va-t-il pas, ce faisant, à l’encontre de la Convention d’Aarhus, laquelle prévoit expressément le droit de tout citoyen de pouvoir disposer d’un recours effectif, « pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure »[[Article 9 §2 de la Convention d’Aarhus.]] d’une autorisation administrative? Par ailleurs, quel message le Gouvernement laisse-t-il transparaître en créant un régime spécifique pour certains projets soi-disant relevant de l’intérêt général? En effet, si le Conseil d’Etat annule des actes administratifs « pour de mauvaises raisons » ou de façon « excessive », pourquoi mettre en place un régime différent pour certains projets uniquement? A l’inverse, si le Conseil d’Etat sanctionne des actes administratifs en raison de vices de légalité avérés et établis, quelle image le Gouvernement donne-t-il en mettant en place un subterfuge pour que des dossiers en souffrance ne puissent plus subir la censure du Conseil d’Etat? Les questions méritent d’être posées…