Un donut au menu des négociations politiques ?

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Inscrire notre économie dans le respect des limites planétaires tout en répondant aux besoins humains de base doit être l’unique boussole de nos gouvernements. C’est ce que nous enseignent les objectifs de développement durable et qui est formalisé dans la théorie du donut. Il est nécessaire, à cet égard, d’avoir une vision claire, cohérente et concertée de l’évolution future de notre société. Pour ce faire, il est indispensable de réformer en profondeur les leviers budgétaires et financiers au niveau fédéral comme au niveau régional.

Le Bureau fédéral du Plan vient de sortir son rapport sur les objectifs de développement durable (SDG en anglais pour Sustainable Development Goals) au niveau fédéral. Les SDG, ce sont 17 objectifs adoptés par les Nations Unies en 2015, déclinés en 78 indicateurs à atteindre, sur base chiffrées ou non. Si certains de ces indicateurs évoluent dans le bon sens, le rapport insiste surtout sur un état de fait : les objectifs à l’horizon 2030 ne seront pas atteints au rythme actuel. Il va même beaucoup plus loin en affirmant qu’une rupture de tendance est nécessaire et urgente. Le constat est donc sans appel.

Le développement durable de notre société n’est pourtant pas une lubie de certains activistes. Il s’agit d’une nécessité pour conserver l’habitabilité de notre planète reconnue par la communauté scientifique ainsi que par un nombre important de citoyens et d’entreprises. La croyance en une croissance infinie de l’activité économique dans un monde fini appartient majoritairement au passé. Le temps est maintenant davantage à inscrire l’activité humaine dans les limites planétaires, avec tous les aspects que cela comporte (respect de la biodiversité, préservation des ressources, limitation des émissions de gaz à effet de serre, …). 

Il convient, par ailleurs, de persévérer dans le développement de notre société au niveau matériel : sortir les gens de la pauvreté (SDG1), combattre la faim (SDG2) ou encore proposer une éducation de qualité (SDG4) sont autant de nécessités (parmi d’autres) pour que notre société prospère et permette à chacun d’y trouver sa place. Proposer un socle qui permette à chacun de vivre une vie décente sans collectivement dépasser les limites fixées par notre planète a été formalisé en économie comme la théorie du donut par Kate Raworth. Pour Canopea, il s’agit là d’une boussole qui doit guider nos politiciens dans la vie de tous les jours. Et une boussole qui est de la plus haute importance quand ceux-ci travaillent au programme d’un futur gouvernement qui guidera les décisions politiques à venir pour les 5 prochaines années.

Une boussole claire, concrète et évaluable

Partant des constats dressés sur le bon suivi du Plan fédéral de développement durable établi en 2021, le rapport du Bureau du Plan insiste sur quelques recommandations primordiales :  

·       Les objectifs doivent être les plus concrets possibles

·       Les instruments pour les atteindre sont plus efficaces quand ils sont de nature réglementaire ou économique, avec des effets immédiats sur la société

·       Un calendrier précis pour les différentes mesures est nécessaire à leur mise en place effective.

·       Une coopération active entre les départements et avec d’autres acteurs extérieurs

·       L’impact des instruments doit pouvoir être analysé de manière scientifique

Si ces recommandations sont adressées aux rédacteurs du futur plan fédéral de développement durable, elles sont tout autant valables pour toute mesure ou tout instrument politique. Lors de la sortie du dernier Plan National Energie Climat (PNEC), par exemple, Canopea regrettait le manque d’ambition générale, le flou entourant certaines mesures ou le fait de ne pas suffisamment recourir à des mesures d’ordre réglementaire ou économique. 

Il est, par ailleurs, important que tous les niveaux de pouvoir soient mis à contribution et qu’une coopération renforcée s’opère. L’atteinte des SDG doit servir d’objectif global de la société et doit s’opérer à tous les échelons. Le niveau communal, par exemple, a tout autant un rôle à jouer dans le combat pour des logements adéquats (SDG11, mesure i51) que le niveau régional pour la protection de la vie terrestre via les zones Natura 2000 (SDG15, mesure i66). Il est donc crucial que la boussole du donut soit appliquée à tous les échelons (déclarations politiques fédérale et régionale au minimum), mais aussi qu’une certaine coordination soit mise en place pour assurer cohérence et coopération au niveau de la société dans son ensemble.

Suivre le cap défini par une boussole implique également de faire des choix. Vouloir rester dans les limites planétaires, par exemple, est difficilement compatible avec la poursuite de certaines activités qui ne font que nous pousser au-delà de ces limites. Le plus éclairant, à cet égard, reste le soutien aux énergies fossiles : on ne pourra pas réduire nos émissions de gaz à effet de serre (SDG13, mesure i60) si on persiste à soutenir une mobilité dépendante d’un usage à la voiture thermique ou en soutenant l’usage du gaz et du mazout pour se chauffer. 

Des choix clairs et une vision stratégique doivent être posés pour nous faire réellement entrer dans la marche en avant vers les SDG. On a donc déjà cité le soutien aux énergies fossiles, mais il en va de même pour la réindustrialisation de notre économie. Soutenir et investir publiquement dans des secteurs difficiles à complètement décarboner (le secteur de l’aviation, par exemple) semble peu compatible avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Le soutien public aux industries doit s’opérer dans des secteurs porteurs pour l’avenir.

Avec quels financements ?

On le sait également, ces choix vont nécessiter un financement conséquent alors que les finances publiques sont déjà mises à mal par le retour d’un corset budgétaire imposé par l’UE. Si l’on ne regarde que la décarbonation de notre société, les derniers chiffres sortis du Service public fédéral des changements climatiques (logé au SPF Santé) nécessiteraient entre 0 et 700 milliards de plus d’ici à 2050 (si on exclut les investissements déjà prévus dans le cas d’un business as usual), soit entre 0 (si des changements de comportements importants se réalisent) et 23 milliards d’euros (si la décarbonation repose uniquement sur des solutions technologiques) d’investissements par an. 

Un financement qui semble donc loin d’être insurmontable, donc, pour autant que les investissements soient correctement dirigés. D’où la nécessité d’une vision stratégique avec une boussole claire et cohérente à tous les échelons. Et, même si ces chiffres ne concernent que la décarbonation de notre société (une seule mesure parmi les 78 formulées dans les SDG), il s’agit d’un objectif majeur qui aura indubitablement des effets sur les autres indicateurs et objectifs. En effet, décarboner notre société impactera positivement la santé des individus (SDG3), mais aussi l’énergie propre (SDG7) ou encore la préservation de la vie terrestre ou aquatique (SDG 13 et 14), entre autres. D’autant plus si on prend le scénario à 0 milliard du SPF Changements climatiques qui repose sur des changements de comportements importants, ce qui agira en prime sur le combat contre la faim (SDG2), la consommation d’eau (SDG6), les transports (logés au sein du SDG9) ou encore le cadre de vie dans les villes et communautés (SDG11).

Investir dans la décarbonation de notre société irait donc de pair avec l’atteinte de nombreux SDG.  Tout en étant bénéfique à notre économie, à nos entreprises et à la compétitivité de celles-ci. C’est en effet ce qu’il ressort des recommandations de politiques budgétaires faites par la Commission européenne à la Belgique via le Semestre Européen. La Commission va même beaucoup plus loin : l’écologisation de notre société est une nécessité pour notre économie. Notre dépendance aux énergies fossiles, intégralement importées depuis l’étranger, nuit à la compétitivité de notre pays. Et la fiscalité et l’utilisation des fonds publics renforcent le problème, ce qui pousse l’UE à exhorter le gouvernement fédéral (mais aussi les gouvernements régionaux de manière indirecte) à changer de modèle !

Parmi les recommandations formulées pour notre pays, de nombreuses concernent le climat, l’énergie et l’environnement. Par exemple, il convient d’accélérer les investissements dans la transition énergétique via le développement des énergies renouvelables ou la rénovation des bâtiments, tout en supprimant progressivement le recours aux systèmes de combustion fossile pour la production de chaleur. Au niveau de la mobilité, il est urgent d’investir davantage dans les transports publics. Et enfin, il est plus que temps de réformer notre système fiscal, qui encourage le transport routier et la congestion, qui favorise les énergies fossiles aux dépens de l’électrification des usages avec un rapport de prix déséquilibré entre les deux, ou encore qui ne pousse pas à adopter des comportements plus vertueux. 

Enfin, les investissements publics doivent être massivement redirigés vers des secteurs d’avenir. Selon le dernier inventaire des subventions aux énergies fossiles qui date d’avril 2024, pas moins de 15 milliards d’euros étaient encore concernés en 2021 ! Les voitures de société et les cartes carburant, par exemple, représentent près de 3,2 milliards d’euros de coûts pour la société par an, alors qu’elles renforcent les inégalités. Les exonérations d’accises pour l’aviation ou le transport maritime, quant à eux, pèsent pour près d’un milliard d’euros sur base annuelle. Mettre fin à toutes ces politiques permettrait de dégager énormément de moyens utiles à notre transition énergétique.

Canopea propose donc les lignes de conduite suivantes :

·       Inscrire dans les déclarations de politique des futurs gouvernements l’atteinte des SDG comme objectifs prioritaires.

·       Se baser sur la théorie du donut lors de la rédaction des différents programmes politiques. Utiliser ce modèle comme boussole pour définir un cadre clair, cohérent et objectivable pour toutes les politiques publiques, aussi bien au niveau fédéral que régional.

·       S’inscrire résolument dans la dynamique internationale qui vise à mettre fin aux politiques néfastes de subventionnement aux énergies fossiles et prévoir une sortie progressive au niveau fédéral. Au niveau wallon, il devient urgent d’enfin sortir un cadastre sur la question et de se mettre d’accord sur un calendrier de sortie rapide.

·       Réformer notre système fiscal afin qu’il ne pousse plus à la mobilité individuelle ou à l’utilisation massive d’énergies fossiles aux dépens de l’électrification.

·       Investir massivement dans les énergies renouvelables et dans les économies d’énergie au travers de l’efficacité et de la sobriété, notamment via la rénovation énergétique, la transition industrielle ou la mobilité partagée.