Salon de l’auto et soldes : le mois de janvier serait-il le mois de la surconsommation ? C’est en tout cas l’occasion de revenir sur un livre blanc publié par le Conseil de la Publicité et le Centre d’Information sur les Médias (CIM), intitulé « Vers un écosystème de communication et de médias à l’épreuve du temps ». L’objectif annoncé est de « tracer une voie durable et responsable pour l’avenir d’un secteur qui emploie 45 000 personnes ». Les propositions qui s’y trouvent ne sont pourtant ni durables ni responsables…
Penchons-nous d’abord sur le titre, qui à lui seul, peut nous faire bondir lorsqu’on possède un minimum de connaissances scientifiques. En effet, un écosystème est un ensemble d’organismes vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) en interaction les uns avec les autres, ainsi qu’avec leur environnement. Un réseau de médias ne peut donc pas être un écosystème, puisqu’il s’agit d’un système d’interactions qui concerne une seule espèce, l’espèce humaine. Même s’il peut arriver que des animaux soient filmés, ou que des chiens et des chats regardent la télé en compagnie de leur propriétaire, les producteurs comme les destinataires des contenus proposés restent des êtres humains (ou parfois des machines, lorsque l’intelligence artificielle est utilisée). Quant aux interactions avec l’environnement, elles laissent à désirer, comme nous allons le voir ci-dessous…
Régulation insuffisante et résistance au changement
Stephan Loerke, CEO de la WFA (World Federation of Advertisers, fédération mondiale des publicitaires), déclare : « La publicité évolue sous la pression des consommateurs et des régulateurs, faisant de la durabilité une exigence incontournable. Les marques adoptent des stratégies plus responsables, alignées sur des objectifs sociaux et environnementaux. »
Quelle mauvaise foi !
Il est vrai que l’on constate une certaine prise de conscience des impacts négatifs de la publicité au sein de la population. C’est ainsi que, dans les grandes villes, des collectifs citoyens comme Liège Sans Pub, Namur Sans Pub ou Bruxelles Sans Pub militent pour la suppression de la publicité dans l’espace public. Mais ces revendications n’ont jusqu’à présent pas eu beaucoup d’effet sur le comportement des annonceurs. De plus, la régulation du secteur reste insuffisante et quasiment inchangée depuis des dizaines d’années, à quelques exceptions près comme le tabac ou les jeux de hasard. Cela n’a rien d’étonnant lorsqu’on sait que cette régulation est mise en application par le Jury d’Ethique Publicitaire, constitué… des annonceurs eux-mêmes !
Marc Frederix, président du Conseil de la Publicité, prône d’ailleurs encore une fois l’autodiscipline : « fixer ensemble des conventions sectorielles pour réagir plus rapidement aux évolutions sociétales, sauvegarder des normes éthiques et préparer le secteur à relever les défis futurs. Le secteur veut ainsi montrer sa volonté d’assumer sa responsabilité sociétale. » Il s’agit d’une stratégie bien rodée : le secteur publicitaire prend les devants en définissant lui-même ses propres normes pour éviter que le gouvernement n’établisse des normes plus contraignantes. Un peu comme Coca-Cola qui a décidé de retirer ses distributeurs des écoles pour anticiper une interdiction qui allait finir par lui tomber dessus…
Pour répondre à la demande des consommateurs et consommatrices, il est vrai que certaines marques proposent des produits écoresponsables… mais ce ne sont pas ceux qu’on voit le plus souvent dans les publicités, au contraire !
Prenons le cas du secteur automobile, omniprésent en cette période de salon de l’auto. Une part disproportionnée des publicités sont consacrées aux véhicules de type SUV. Alors que pour la plupart des gens, l’achat d’une voiture petite et légère (LISA Car) serait le choix le plus rationnel d’un point de vue à la fois économique, écologique et pratique (parking, etc.), cette débauche publicitaire pousse à l’achat de véhicules excessivement lourds, puissants, dangereux et polluants.
Voyons un autre exemple qui démontre à quel point la publicité génère un gaspillage énorme, sur base du modèle « acheter, consommer, jeter » : la fast-fashion. Par un renouvellement très rapide de leurs collections, accompagné d’un matraquage publicitaire massif (notamment, mais pas uniquement durant les soldes), les marques de vêtements nous poussent à renouveler de plus en plus fréquemment notre garde-robe, avec des conséquences sociales et environnementales désastreuses. La majorité de ces vêtements sont produits dans des pays où les normes en matière de bien-être au travail sont quasiment inexistantes, ce qui entraine une forme d’esclavage moderne : journées interminables pour un salaire de misère, contact avec des produits toxiques, etc. De plus, la production textile est fortement émettrice de CO2 et consomme de grandes quantités d’eau. En bout de course, ce secteur génère une énorme quantité de déchets : quatre millions de tonnes de vêtements sont jetées chaque année en Europe ! Pour protester contre ces dérives, le collectif Extinction Rebellion organise d’ailleurs une manifestation à Bruxelles le 18 janvier.
L’agro-alimentaire n’est pas en reste. Il est très rare de voir des publicités pour des fruits et légumes frais qui devraient pourtant constituer une part importante de notre alimentation, alors que les aliments trop gras, trop sucrés et ultra-transformés sont omniprésents dans la publicité.
En résumé, plutôt que d’encourager les consommateurs et consommatrices désireux d’adopter des modes de vie plus sains et respectueux de l’environnement, la publicité freine ce changement par la promotion de produits nocifs… mais souvent plus lucratifs.
Imiter les géants ou se démarquer ?
Depuis quelques années, la publicité en ligne a connu un développement important. En effet, les géants du web tels que Google ou Meta (qui détient Facebook, Instagram et Whatsapp) utilisent des algorithmes qui proposent des publicités ciblées grâce aux données personnelles collectées sur leurs différentes plateformes et applications. Cette approche personnalisée est plus attractive pour les annonceurs car elle permet de cibler des utilisateurs et utilisatrices potentiellement plus réceptifs au contenu proposé, sur base de leurs centres d’intérêt, de leur profil et de leur comportement en ligne.
Face à cette concurrence nouvelle, les médias locaux traditionnels craignent une diminution de leurs revenus publicitaires. La solution semble toute trouvée : pour ne pas se faire bouffer par les géants, faisons comme eux !
« Dès 2026, CIM lancera sa nouvelle approche de mesure et d’évaluation des médias, baptisée CIM ONE. La stratégie consiste à rassembler toutes les mesures d’audience, d’audimat et de comportements des consommateurs au sein d’un seul et même système. Le média ne sera plus l’axe pivot, mais bien le consommateur. Ce système suivra le comportement des consommateurs partout et à travers toutes les plateformes médiatiques, qu’ils soient chez eux, en déplacement ou en ligne. »
Un véritable flicage digne d’un système totalitaire… Et tout ça juste pour de l’argent ! En effet, « ces relevés précis permettront aux régies médiatiques de mieux commercialiser la consommation de médias au niveau local, ce qui devrait générer une hausse de revenus publicitaires de quelque 140 millions d’euros, selon les estimations. » Ce qui n’est finalement pas très cher payé pour sacrifier la vie privée de 11 millions de Belges (12.70 € par personne, par ici la monnaie !).
On pourrait se rassurer en disant que l’Europe veille au grain, car la protection des données est garantie par le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Il est pourtant bien connu que de nombreuses entreprises ne respectent pas ce règlement, en ce compris les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Pourquoi les médias traditionnels feraient-ils mieux ?
Vu le déséquilibre à la fois en termes de moyens financiers et techniques, il semble illusoire que des médias locaux puissent rivaliser avec des multinationales du web en termes d’attractivité publicitaire. Pour survivre, les médias traditionnels doivent se réinventer et trouver d’autres moyens de se démarquer, que ce soit par la qualité des contenus ou… la limitation de la publicité.
Dans un contexte budgétaire compliqué, il est clair que ce n’est pas simple pour les médias de résister à la tentation de l’argent facile servi sur un plateau par le secteur publicitaire. Il est d’ailleurs déplorable que le gouvernement prévoie de restreindre les subventions octroyées à la RTBF et aux médias de proximité. Mais les difficultés financières ne doivent pas être un prétexte pour abandonner toute considération éthique ! Car quand les acteurs belges de la publicité disent qu’ils « cherchent à préserver l’indépendance des médias locaux », en fait, ils cherchent plutôt à augmenter leur dépendance à la publicité…
Vous reprendrez bien un peu de greenwashing ?
Le livre blanc est truffé de références à la durabilité et à la responsabilité sociétale, mais ces beaux discours sonnent creux et ne sont étayés par aucun fait concret. Au contraire, les mesures proposées sont totalement incohérentes avec les enjeux actuels et futurs : dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, santé publique, inégalités sociales, raréfaction des ressources,…
Il s’agit donc d’une stratégie qui ne résistera pas à l’épreuve du temps !
Crédit image illustration : Adobe Stock
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