La taxonomie européenne est le programme lancé par la Commission censé « labelliser » les technologies de production énergétique durable. En publiant ce 2 février une proposition dans laquelle le gaz et le nucléaire sont reconnus comme « énergie de transition » verte, la Commission européenne se décrédibilise totalement. Les impacts concrets de cette taxonomie sont à l’heure actuelle encore difficile à évaluer et un sursaut de bon sens européen est encore possible.
Le nucléaire et le gaz, verts ?!
L’Europe vient de connaitre un de ces petits accords politiques dont elle a le secret. D’un côté la France, état actionnaire d’EDF qui peine à vendre ses réacteurs nucléaires voulait absolument recevoir un label vert sur le nucléaire pour les écouler plus facilement. D’un autre côté, l’Allemagne plaidait pour rendre le gaz « vert » et faciliter ainsi ses investissements dans de nouvelles centrales gaz prévus pour remplacer ses centrales nucléaires et charbon… Chacun a donc activé ces pions au sein de la Commission et les deux géants se sont neutralisés. Résultat : la Commission a donné son « feu vert » pour les deux technologies…
Soyons clair, le nucléaire n’a pas sa place dans la taxonomie verte en raison du problème non résolu des déchets radioactifs et des risques nucléaires, certes limités mais aux conséquences incalculables. Le Conseil Supérieur de la Santé belge l’a encore rappelé dernièrement : si le nucléaire présente l’avantage d’être moins impactant pour le climat, il y a loin avant de pouvoir en faire une énergie « durable ». L’état français lui-même n’a pas osé le faire dans son label national « finance verte ». Quant aux centrales au gaz fossile on peut éventuellement leur reconnaitre un moindre impact climatique que d’autres options (centrale lignite)… Mais de là à en faire une source d’énergie durable !
Soyons de bon compte. La Commission fixe des conditions assez strictes pour que les centrales gaz puissent être classées « durables ». Notamment des standards d’émission de CO2 minimaux assez élevés. Idem pour le nucléaire où les opérateurs devraient utiliser des barres de combustible qui diminuent le risque d’accidents dès 2025. Mais comme le résume cet analyste allemand : « C’est un peu comme si l’on déclarait que l’achat d’une pipe est sain, à condition de promettre de fumer peu et de passer à un tabac moins polluant dans quelques années ». Surtout, la manière dont ces critères seront effectivement appliqués demeure floue rendant la labellisation verte potentiellement illisible et donc inopérante.
Trop laxiste aussi pour la biomasse
D’autres technologies très discutables devraient aussi recevoir le label durable selon la Commission. Une large coalition d’ONG avait pointé du doigt les critères beaucoup trop laxistes pour les biocarburants et la biomasse issue de la déforestation.
La taxonomie en l’état va louper l’objectif de verdir la finance
Cette taxonomie devait principalement servir à donner des orientations claires aux institutions financières sur ce qu’est un investissement durable. Aujourd’hui une multitude de labels verts privés développés par les banques elles-mêmes sont très « laxistes » et illisibles. Par exemple, le label de durabilité de la Fédération belges des institutions financière, Febelfin, autorise les investissements dans des centrales au gaz. D’où l’intérêt de développer un label public clair et simple qui mette de l’ordre dans les produits financiers proposés aux investisseurs et oriente clairement les investissements. De ce point de vue, la proposition de la commission est indubitablement une occasion manquée. Pas étonnant dès lors que le syndicat des consommateurs européens, le BEUC, n’hésite pas aà parler de « greenwashing institutionnel ». On continuera donc à voir fleurir des green bonds et autres sicav vertes qui financent la destruction de la planète en toute impunité et ce, au mépris des investisseurs réellement soucieux d’environnement.
La taxonomie devrait aussi servir aux autorités publiques européennes elles-même. Ce label est censé être une référence pour respecter des « objectifs d’investissements verts » pour des institutions comme la Banque Européenne d’Investissement. Mais à nouveau, une telle taxonomie floue rend cet objectif inopérant.
Le retour du bon sens ?
Le Parlement européen et les États membres du Conseil pourraient encore aller à l’encontre de la Commission. Mais dans cette procédure « déléguée », ils ne peuvent que s’opposer (et non apporter des modifications) au Conseil et cette décision doit être prise à la majorité d’au moins 20 États membres. Il semble peu probable que ce seuil puisse être atteints Notre pays est resté silencieux sur la question pour l’instant. Il devrait se joindre aux députés belges pour s’opposer, au moins symboliquement, à l’inclusion du gaz et du nucléaire. Certains états dont le Luxembourg ou des ONGs ont également laissé entendre qu’ils attaqueraient la proposition de la Commission en justice. Tout espoir n’est donc pas perdu de voir l’Europe regagner le chemin du bon sens. Mais il est ténu.
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