Alors que le bilan de la première année du dispositif de déclaration des substances à l’état nanoparticulaire français vient d’être publié, la Belgique s’apprête à adopter son registre national. Le projet d’arrêté, soumis aux différents conseils d’avis fédéraux, est indispensable pour assurer la traçabilité des nanomatériaux sur le marché belge. Plusieurs associations viennent d’interpeller les responsables politiques sur les points pouvant encore faire l’objet d’amélioration avant l’adoption du registre par le gouvernement.
Le projet de registre belge des nanomatériaux continue de faire parler de lui. Et oui, l’Europe ne faisant pas mine de prendre les choses en main, l’action fédérale est indispensable pour qu’enfin une collecte d’information soit rendue obligatoire et systématique (avant que d’autres types de mesures puissent être envisagés). Tel est l’enjeu lié au projet d’arrêté royal qui circule. Si les différents conseils d’avis pointent des éléments d’attention pour les membres divers et variés (voir ci-dessous), plusieurs associations ont voulu remettre en avant leurs points d’attention prioritaires.
Quels sont les points identifiés par IEW, BBL, CSC, FGTB, CGSLB, CRIOC et Gezinsbond ? Tout d’abord, le champ d’application, qui tel que prévu actuellement exclu certains types de nanomatériaux, tels que les pigments et les nanomatériaux de remplissage, sans qu’aucune information ne soit disponible quant aux possibilités que leur utilisation entraîne une exposition de l’être humain ou de l’environnement et donc également en l’absence d’information quant aux risques qui pourraient être associés à cette exposition. Pour ces associations, il ne devrait pas être possible d’exclure un nanomatériau du champ d’application du registre à moins qu’une des conditions suivantes ne soit remplie :
l’existence d’une régulation requérant l’enregistrement de données similaires à celles prévues dans le projet d’arrêté royal, données auxquelles l’Administration fédérale doit avoir un accès aisé ;
la disponibilité de données attestant de l’absence de danger d’un nanomatériau pour la santé humaine ou l’environnement et, ce, sur l’ensemble du cycle de vie du produit ;
la disponibilité de données attestant de l’absence d’exposition de l’être humain ou de l’environnement à un nanomatériau et ce sur l’ensemble du cycle de vie du produit.
Si une dispense d’enregistrement de certains nanomatériaux devait être envisagée, elle ne doit l’être que sur base des critères repris ci-dessus et pour autant que les informations requises aient été fournies à l’Administration fédérale et vérifiées par celle-ci avant l’entrée en vigueur du registre.
Les résultats du registre français [Voir à ce sujet le rapport d’étude de [l’ANSES et l’analysé réalisée par l’AVICENN]] appellent à soigneusement considérer les substances incluses ou non dans le champ d’application. Ainsi, le noir de carbone, exclus du registre belge, constitue la première substance (en masse) à l’état nanoparticulaire du registre français. A contrario, le nano-argent est absent des déclarations. Deux explications sont avancées sur ce point : il est souvent intégré dans des produits, et non mis sur le marché français en tant que substance (sur ce point le registre belge prévoit une notification des produits contenant des nanomatériaux – mais sera-t-elle bien maintenue et dans quel délai ?). Par ailleurs, l’émission du nano-argent lors du lavage ou par abrasion du produit est considérée comme « non-intentionnelle », et n’est donc pas couverte par le registre français. Les dispositions du registre belge diffèrent : elles prévoient une obligation de notification des produits contenant des nano s’il « ne peut pas être exclu que l’article ou l’objet complexe rejette, dans le cadre d’une utilisation appropriée et raisonnablement prévisible, une fraction d’au moins une de ces substances […] » Mais cette obligation est limitée « aux articles ou objets complexes produits par la personne qui le met sur le marché ou mis sur le marché exclusivement à destination des utilisateurs professionnels ». Le suivi du registre belge sur ce point sera donc d’intérêt.
Le cas du nano-argent est d’autant plus à considérer soigneusement que des résultats de recherche l’identifient comme potentiellement préoccupant, et notamment dans le secteur agricole. Ainsi, une étude réalisée récemment par des chercheurs allemands montre que les nanoparticules d’argent présentes dans les boues d’épuration (utilisées comme engrais sur les terres agricoles) peuvent être toxiques aux micro-organismes du sol qui sont indispensables au cycle naturel de l’azote. En se basant sur les taux d’applications typiques en Allemagne de cinq tonnes par hectares de terres agricoles tous les trois ans, ils estiment que des effets néfastes peuvent apparaître à partir de 30mg de nanoparticules d’argent par kilo de boues épandues.
Par ailleurs, si plusieurs conseils d’avis ont exprimé leur point de vue au Gouvernement quant au projet d’arrêté et ont publiés ces derniers [[au sein du Conseil Fédéral du Développement Durable (http://www.cfdd.be/DOC/pub/ad_av/2013/2013a11f.pdf), du Conseil Central de l’Economie http://www.ccecrb.fgov.be/txt/fr/doc13-1270.pdf; du Conseil National du Travail (http://www.cnt-nar.be/AVIS/avis-1870.pdf ) et du Conseil de la Consommation]], l’avis exprimé par le Conseil supérieur de la santé n’est pas accessible. Les associations regrettent cette situation car l’avis du CSS éclairerait utilement l’analyse de l’ensemble des parties concernées par le projet de registre avant l’adoption de celui-ci par le gouvernement.
Deuxième point d’attention : la protection des travailleurs. Le projet d’arrêté royal ne prévoit ni l’enregistrement des travailleurs exposés aux nanomatériaux, ni l’information de ceux-ci. L’information aux travailleurs est un aspect essentiel qui a été relevé par l’ensemble des Conseils d’avis. La protection des travailleurs contre les risques potentiels d’une exposition aux nanomatériaux est pourtant cruciale. Vu l’expansion du marché des nanomatériaux, l’augmentation des activités de recherches et développement, les travailleurs sont de plus en plus souvent exposés, et à des concentrations de plus en plus importantes.
La réglementation actuelle, notamment l’obligation pour l’employeur d’effectuer des analyses de risques et de mettre en place une politique de prévention, s’avère inefficace. Une des raisons est le manque total d’information sur la présence de nanomatériaux dans les entreprises, leurs propriétés, les risques particuliers liés à leur échelle nanoscopique, leurs utilisations et les scénarios d’expositions dans les entreprises.
Les informations collectées dans le cadre du registre proposé peuvent améliorer de manière significative la protection et l’information des travailleurs. Certaines conditions doivent néanmoins être assurées. Dans l’avis 1870 du Conseil National du Travail du 22 octobre 2013, les syndicats ont formulé, avec les organisations représentatives des employeurs, des propositions concrètes pour garantir la diffusion de l’information à tous les stades de la chaîne de production :
enregistrement dans les fiches de données de sécurité de toutes les informations relatives aux substances chimiques présentes sous leur forme nanométrique ;
information des représentants des travailleurs via le comité de prévention et protection au travail (ou la délégation syndicale ou les travailleurs eux-mêmes) sur l’enregistrement d’une substance ou d’un article qui contient des substances enregistrées et avec lesquelles les travailleurs peuvent entrer en contact ;
accès du Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale aux informations du registre pour assurer la surveillance de la protection des travailleurs et, en cas de nécessité, prendre des mesures de prévention.
Dernier point : l’information du public. Nous devrions tous avoir accès à des informations transparentes et complètes sur les nanomatériaux et les produits qui en contiennent. A l’heure actuelle, les consommateurs n’ont aucune idée des produits qui contiennent des nanomatériaux, et l’industrie ne veut donner aucune information claire. Si le projet d’arrêté royal contient des dispositions pour protéger la confidentialité des données des entreprises, il ne prévoit aucune disposition pour assurer l’information des consommateurs quant aux produits qui seront repris dans le registre, et qui donc contiennent des nanomatériaux.