Espaces vacants, en attente, à l’abandon, sans usage, témoins de la déprise d’une activité, les friches sont des espaces délaissés.
Le terme, issu du monde agricole, s’est invité dans l’espace urbain et désigne désormais une multitude de réalités : cellule commerciale vide, logement inoccupé, friche industrielle, touristique, agricole, dent creuse, etc. Les friches se retrouvent en milieu urbain, périurbain, agricole et leur histoire est à chaque fois unique. Ces espaces ont bien des choses à nous raconter, passées (traces patrimoniales) et présentes (retour d’une nature non maitrisée, usages informels et partagés, etc). Leur point commun, malgré leur diversité, est d’être un espace caractérisé par un temps de veille, entre le projet initial et le projet à venir. Les friches sont des espaces en pause, dont l’avenir n’est pas écrit, mais qui ne sont pas vides pour autant ni dépourvus de fonctions :
« Qu’elles soient éphémères ou pérennes, les friches ont en effet une triple fonction dans nos villes :
- fonction économique : c’est une réserve de foncier pour du bâti et en particulier du logement ;
- fonction sociale : c’est un espace susceptible d’offrir aux habitants un lieu de respiration, de détente et de loisir mais aussi un espace de refuge pour celles et ceux qui sont marginalisés, un espace de liberté, avec parfois des problèmes réels de sécurité ;
- fonction écologique : c’est le support pour accueillir une biodiversité raréfiée en ville mais aussi, à l’heure du bouleversement climatique, un régulateur d’humidité de l’air et la température locale. » 1
Réserve foncière
A l’heure de la réduction de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols, ce foncier délaissé (re)devient un objet de convoitise, un levier de densification, une opportunité pour (ré)installer des fonctions urbaines dans des noyaux déjà existants. Autrement dit, les friches, du bâtiment abandonné à la dent creuse jamais urbanisée, permettent de reconstruire la ville sur la ville dans une optique d’urbanisme circulaire. Cette reconstruction de la ville sur la ville est un levier important pour éviter toute nouvelle construction neuve sur des terres jusque-là non artificialisées.
Bénéfriches est un outil de l’ADEME, l’agence française de la transition écologique, qui permet de « quantifier les bénéfices nets socio-économiques et environnementaux d’un projet d’aménagement pour aider les collectivités et acteurs de l’aménagement à orienter leurs choix d’implantation entre le renouvellement urbain et l’extension urbaine (friche vs. terres agricoles), voire entre différents scénarios d’usage sur une même friche. L’application de l’outil Bénéfriches à quatre opérations démontre que la reconversion de friches génère des bénéfices nets socio-économiques pouvant « compenser » le déficit économique de l’opération.»
Si cette option fait bien-sûr sens dans plusieurs cas, la réaffectation des friches à des fins d’urbanisation ou de réindustrialisation ne doit pas pour autant devenir un réflexe absolu.
« Ainsi, la densification des friches est souvent présentée comme la nouvelle panacée du développement territorial, passant sous silence plusieurs de leurs caractéristiques, en particulier leur diversité et leurs fonctions. Or, en aménagement, les recherches récentes sur les friches urbaines soulignent l’intérêt de l’existence d’espaces qui sortent du cadre conventionnel de la planification (Mazy 2014). »
Collectif Inter-Friches, « « Bye-bye les friches ! » Densifier la ville sur les friches, une panacée ? », https://metropolitiques.eu/Bye-bye-les-friches-Densifier-la-ville-sur-les-friches-une-panacee.html
Parce qu’elles échappent à la planification, les friches offrent des espaces de liberté, tant pour la nature qui peut y reprendre ses droits que pour les usages informels. Ces espaces, en tant que tels, sont précieux. Dès lors, nous pouvons nous interroger : ces espaces doivent-ils être nécessairement réaffectés ?
Des espaces propices à la biodiversité
Combien de fois ne dit-on pas, en parlant d’un espace abandonné et repris par la nature, qu’elle y reprend ses droits ? Alors que la « nature » a peu de place dans nos législations (mais c’est un autre débat), nous reconnaissons ainsi tacitement que la nature bousculée par nos projets immobiliers reconquiert un espace qui lui appartient.
« En effet, la friche se caractérise par le temps long, qui bien souvent va permettre, au fil des dégradations des installations humaines anciennes et de la reconquête par la végétation, le développement parfois spectaculaire des espèces sauvages, qu’elles soient animales ou végétales.
Toutefois la friche ne redevient pas un milieu naturel : fortement marquée par les activités humaines, elle devient un milieu particulier, marqué par des conditions pédologiques et hydrologiques particulières, et par une pollution présente et très variable dans l’espace. Ces espaces sont à la fois fortement colonisés par les espèces exotiques envahissantes, porteurs de biodiversité « ordinaire », et bien souvent lieux de refuge d’espèces rares ou menacées. » 2
L’absence ou la limitation des activités humaines favorisent la réinstallation de la nature dans ces espaces. Tout commence par l’arrivée d’espèces pionnières et peut conduire jusqu’au développement d’une biodiversité ordinaire et rare d’une grande richesse : regardons par exemple les terrils ou encore la friche Josaphat.
Les friches contribuent donc à la biodiversité urbaine ! Ces espaces “verts” impromptus ont évidemment de multiples bienfaits à travers les services écosystémiques qu’ils nous rendent (îlot de fraîcheur, in-filtration des eaux, dépollution, etc).
Adalia propose une fiche « Friche urbaine » avec quelques conseils de gestion en fonction de leur stade de végétalisation et de la présence éventuelle d’invasives.
Des espaces extra-ordinaires
« Les espaces non affectés sont des lieux d’expérimentation, des lieux qui ouvrent l’imaginaire, permettent le repos, la réflexion, la créativité. Un peu comme si, instinctivement, se promener dans un lieu qui n’offre pas de repères invitait notre cerveau à en construire, à en rêver hors contraintes, ce qui ouvre des possibilités. »
Les friches et autres terrains vagues ont d’ailleurs nourri l’imaginaire des bédéistes comme l’illustre le montage d’Yves Hubert lors de sa présentation « Penser l’avenir des friches urbaines sans dénaturer la ville » lors du colloque « La ville s’en f(r)iche ? » :
Si les friches sont parfois entachées de souvenirs plus ou moins doux-amers, ce sont des espaces qui permettent aussi de libérer l’imagination et l’expérimentation. La ville de La Louvière et la friche « Boch » sont le symbole de ce double constat : les ateliers Boch ont été le fleuron de la ville et leur déprise a laissé une cicatrice béante au cœur de la cité.
« De la première faillite de 1985 à la fermeture définitive de 2011, la liquidation a fait beaucoup de dégâts. Depuis dix ans, le site est à l’abandon, entretenant les mauvais souvenirs par son allure délabrée. En attendant que démarrent les grands travaux de rénovation du plateau, un projet expérimental [Imaginez votre ville] a vu le jour entre octobre 2018 et décembre 2019. Un projet pour faire revivre cette friche avec la participation des habitants. » 4
L’urbanisme temporaire au sein des friches est un moyen convivial et innovant d’imaginer et d’accompagner le sortir de la friche. Bruxelles l’a bien compris et a d’ailleurs crée son guide de l’occupation temporaire pour faciliter la démarche.
Des biens communs
Si ces espaces sont désinvestis par leurs propriétaires ou ne font pas l’objet d’une programmation officielle, ils ne sont pas pour autant toujours inoccupés :
« Les friches font ainsi l’objet d’usages informels : du potager pour citadins en manque de terre à l’habitat temporaire pour des populations en situation de grande précarité, comme des communautés roms et des personnes migrantes. Les modes d’appropriation de ces espaces sont nombreux. Les friches urbaines offrent ainsi des ressources pouvant servir à une diversité d’usages, dont certains leur sont spécifiques : habitat, jardinage, expérimentations comme l’agriculture urbaine… Les liens qui s’établissent entre ces pratiques de convivialité, de subsistance et les formes de conflictualité qui se développent sur les friches en font parfois des « communs », en fonction de leur gouvernance, mais aussi de la tolérance ou de l’acceptation par des pouvoirs publics.» 5
Les territoires et les villes sont des espaces en mutation constante : « la friche n’est pas un phénomène exclusivement contemporain, l’abandon ponctuel ou plus massif de lieux d’activités ou d’habitat, leurs transformations fonctionnelles ou encore la réutilisation de parcelles auparavant bâties, ont ponctué l’histoire des villes. » Les friches d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain. Au cours de ces mutations, des usages apparaissent, d’autres disparaissent, les friches permettent, par leur absence de programmation momentanée, d’expérimenter. Faut-il gérer les friches ? (si oui, alors, comme le questionne si bien UrbAgora 7, un espace géré est-il encore une friche ?) Comment penser leur avenir en tenant compte du contexte unique dans lesquelles elles s’inscrivent ? Il s’agira de ménager les différents enjeux qui s’y jouent : économiques, écologiques, patrimoniaux, culturels et politiques.
- « Friches urbaines et biodiversité – Rencontres de Natureparif » (2011).
- https://www.cerema.fr/fr/actualites/prise-compte-biodiversite-friches-etude-etablissement-public
- Muratet, Audrey, Chiron, François, Manuel d’écologie urbaine, Les presses du réel, 2019, p.50.
- https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/friche-boch/
- Collectif Inter-Friches, « « Bye-bye les friches ! »Densifier la ville sur les friches, une panacée ? », https://metropolitiques.eu/Bye-bye-les-friches-Densifier-la-ville-sur-les-friches-une-panacee.html
- Mathilde Collin, Fonctions et usages des friches urbaines, disponible sur https://lechainonmanquant.be/analyses/friches.html
- idem