Bien sûr, il y a les gares Calatrava. Celles-là, avouons-le, « elles ont de la gueule ». Mais au vu de l’état actuel des finances publiques, il n’est pas certain que toutes les petites gares en Wallonie ou ailleurs puissent s’offrir les services d’un architecte aux ambitions, disons, plutôt larges. Sont-elles pour autant condamnées à ne bénéficier que de l’attention des « artistes » du coin de la rue, dont l’esthétique oscille entre graffes de réel talent et « signatures » au style plus discutable ? Quels projets d’avenir sont envisageables pour les gares petites et moyennes qui jalonnent le réseau wallon ?
Un petit quelque chose d’une Wallonie accueillante
Lorsqu’on pousse les portes de son établissement, Zoé nous accueille avec un large sourire et une délicieuse odeur de cuisine. Son petit restaurant, baptisé « Wild Poppy Barista » et ouvert il y a à peine dix mois, semble faire l’unanimité tant auprès des navetteurs que des habitants ou travailleurs du coin. Un café en attendant le train, un petit déjeuner bien fourni ou un délicieux burger fait maison, la carte est simple mais tentante. Le lieu, un ancien buffet de gare, a été totalement repensé pour devenir un repère cocoon où s’arrêter quelques instants dans la course effrénée du quotidien.
N’est-ce pas ce que l’on attend d’une gare, finalement ? Constituer un lieu d’accueil, un repère, un espace-temps d’entre-deux, un « chez-soi » en attendant le départ, une zone tampon entre deux mouvements, un endroit où se poser pour quelques minutes ou plusieurs heures, pour rêvasser ou travailler ?
La gare de Zoé, c’est la gare de Genval. En plein cœur du Brabant wallon, en pleine zone RER. Une gare comme tant d’autres. Mignonne, plutôt modeste, joli patrimoine des Belges qui y restent attachés. Qui ne demandent pas beaucoup plus, finalement, qu’un bâtiment préservé, un brin remis au goût du jour, sans prétention ni faste, mais accueillant, tout simplement. Une présence humaine qui vous souhaite, à sa manière, la bienvenue à l’arrivée sur le quai.
La gare de Genval, érigée en 1910, mérite, comme beaucoup de bâtiments ferroviaires en Wallonie, une véritable attention politique (source : Jean-Pol Grandmont)
Un peu plus loin, dans les recoins de la France…
Nous sommes à Delle, en Franche-Comté, à la frontière franco-suisse. Avec une grosse dizaine de milliers d’habitants pour son aire urbaine, dont près de 6000 en première couronne, Delle est comparable aux communes wallonnes de Spa, Montigny-le-Tilleul ou Jurbise.
La commune de Delle, aux confins de la France, à proximité de Montbéliard, est à nouveau connectée à la Suisse par le rail (source : Google).
En septembre 1992, la SNCF décide d’arrêter de desservir la gare, alors en relation avec la commune de Belfort. Trois ans plus tard, la gare est officiellement désaffectée. Poussée par plusieurs associations suisses et françaises, la réouverture de la ligne est effective en 2006, par un tronçon d’à peine 1600 m entre la gare de Boncourt, en Suisse, et celle de Delle, en France. Aujourd’hui, en attendant la finalisation du projet de réouverture d’une relation ferroviaire entre Belfort et Bienne, la gare de Delle constitue le terminus de la ligne suisse venant de Bienne.
A l’instar de Genval, Delle a développé une utilisation imaginative, créative de son bâtiment de gare. S’y côtoient en effet un café-snack, une épicerie où trouver notamment des produits du terroir, un espace d’information à destination des voyageurs et touristes et une zone calme où travailler en profitant de la connexion internet du lieu. De 6h à 19h30, l’accès aux quais pour les voyageurs se fait nécessairement en passant par le café-épicerie de la gare de Delle, assurant une belle visibilité au projet. A côté de ce pôle public figure également un pôle privé, constitué en « centre d’affaires franco-suisse » où il est possible, par exemple, de louer des salles de réunion ou des bureaux à la journée.
Esquisses d’aménagement du pôle public de la gare de Delle (source : Arch Projet, Montbéliard)
La gare de Delle a comme particularité d’avoir été pensée comme un projet à plus-value sociale. Considérée comme un chantier d’insertion, elle propose donc un « café solidaire » qui emploie, de 6h30 à 19h tous les jours de semaine, des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières. A terme, le chantier d’insertion, dénommé Chacasol (CHAntier Café SOLidaire), proposera 8 contrats de travail. Outre les services déjà mentionnés, les personnes engagées se chargent d’offrir une information multimodale aux voyageurs, d’assurer l’entretien et la maintenance du lieu, de permettre, par la mise à disposition de locaux, diverses animations pour la population en partenariat avec les associations locales.
Le café et l’épicerie de la gare de Delle, en Franche-Comté (source : Céline Tellier).
Le projet est le fruit d’un partenariat entre le Réseau ferré de France (propriétaire du bâtiment), la Ville de Delle, la Communauté des communes Sud Territoire (locataire de la gare pour une durée minimum de 20 ans), le Conseil général du Territoire de Belfort, la République française, le Conseil régional de Franche-Comté, des fondations partenaires, des fonds européens et d’autres partenaires privés. Coût global estimé du projet de réhabilitation de la gare (création d’un pôle d’affaires de 400 m2, création d’un pôle public de services de 250 m2 avec notamment un café-épicerie solidaire, création d’un pôle d’échange multimodal de 6000 m2 combinant transports en commun, parking relais auto et vélo, taxi, auto-partage, point co-voiturage) = 850 000 € hors TVA.
Un coin paisible et lumineux pour travailler en gare de Delle (source : Céline Tellier)
Delle ou Genval, chacune à leur manière, nous rappellent qu’une gare, aussi petite ou modeste soit-elle, peut devenir le lieu d’une centralité nouvelle, celle des liens sociaux qui se nouent, celle de l’espace-temps qui ressource. En ces temps d’austérité budgétaire, la sobriété impose sans doute une créativité qui se concentre sur l’essentiel.