Une législature ambitieuse pour l’environnement et la nature

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Depuis l’adoption du mémorandum réalisé par IEW lors des élections de mai 2019, deux organismes intergouvernementaux travaillant sous l’égide des Nations unies ont, chacun, publié un rapport fondamental dont la lecture permet de mieux percevoir toute l’ampleur de l’ambition que nous appelons de nos vœux pour la prochaine législature.

  • En octobre 2018, le GIEC rendait public son rapport spécial sur le réchauffement de 1,5°C, précisant l’urgence à agir : « Dans les trajectoires qui limitent le réchauffement planétaire à 1,5 °C sans dépassement ou avec un dépassement minime, les émissions anthropiques mondiales nettes de CO2 diminuent d’environ 45 % depuis les niveaux de 2010 jusqu’en 2030, devenant égales à zéro vers 2050».1
  • En mai 2019, l’IPBES publiait son rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, soulignant l’impérieuse nécessité de mettre en place un « changement en profondeur», soit « une réorganisation en profondeur à l’échelle du système de l’ensemble des facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris des paradigmes, des objectifs et des valeurs. »

Il convient donc d’agir vite, d’agir fort, et d’agir de manière systémique. Ce dernier point, souligné avec force par l’IPBES, mérite une attention particulière.

Le développement des sciences au cours des trois derniers siècles doit beaucoup à l’approche analytique ou linéaire. Celle-ci consiste à réduire la complexité du réel pour en comprendre les détails, en identifiant des relations linéaires : à une cause correspond un effet, toujours le même. Cette approche, cependant, est réductrice en ce sens qu’elle fait abstraction :

  • des rétroactions : l’effet peut, à son tour, influer sur la cause qui l’a produit (ainsi, la fonte des glaces arctiques sous l’effet du réchauffement climatique augmente l’absorption de chaleur par les océans et donc le réchauffement) ;
  • des interactions entre les éléments d’un système (ainsi, les changements climatiques accélèrent le déclin de la biodiversité alors que la préservation de cette dernière aide à stabiliser le climat).

Face aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques actuels, la pensée linéaire, qui nous a tant apporté, ne suffit plus. L’approche « en silos » qui lui est associée peut se montrer contreproductive lorsqu’elle déstabilise un système par défaut de prise en compte des effets qu’induit sur ses différentes composantes une action visant l’une d’entre elles. Les systèmes humains et naturels, inscrits dans le « système Terre », sont complexes et intimement liés. Ignorer cette réalité, c’est se condamner à poser des emplâtres sur une jambe de bois.

Par ailleurs, les travaux du GIEC et de l’IPBES ne laissent pas de place au doute : c’est aujourd’hui l’habitabilité même de la planète qui est en jeu. Et la cause première réside dans les actions humaines. Une réponse adéquate exige une grande lucidité sur ces causes anthropiques et nécessite dès lors d’interroger deux croyances qui imprègnent notre société, même si elles sont mutuellement contradictoires :

  • croyance en la possibilité de poursuivre une croissance illimitée2 dans un monde fini, qui constitue une sous-estimation de la capacité que possède l’humanité de perturber le système Terre ;
  • croyance en la possibilité de corriger les dommages environnementaux grâce à la seule technologie sans modifier le fonctionnement de notre société, qui constitue une surestimation de la capacité de contrôle de l’humanité.

Sans aborder ces obstacles culturels, sans arriver à changer la définition collective du progrès et les aspirations qu’elle véhicule, la préservation d’un environnement viable risque fort de rester une composante marginale ou insuffisante des politiques mises en œuvre.

On ne peut réduire la pollution sans réduire les activités polluantes, on ne peut préserver la planète en accélérant ce qui la détruit. S’il faut aujourd’hui abandonner l’objectif politique de croissance illimitée, c’est parce que ses effets ne sont plus soutenables : c’est en son nom que l’on développe le transport aérien et le pétrole de schistes, que l’on bétonnise les champs pour les transformer en contournements routiers ou en centres commerciaux, obérant nos chances de répondre aux enjeux environnementaux. Le verdissement technologique, souvent perçu comme une panacée, ne produit que de modestes gains, souvent contrecarrés par l’augmentation de la consommation. Sortir des deux croyances susmentionnées permet de s’engager sur un autre chemin : la réduction de nos excès.

Les mesures proposées dans ce mémorandum s’inscrivent dans cet objectif. Nous sommes toutefois conscients qu’il faudra aller plus loin pour réaliser ce « changement en profondeur » que l’IPBES appelle de ses vœux. D’une part, une évolution des normes sociales est nécessaire : nous devrons apprendre à, collectivement, développer des valeurs de respect, de responsabilité, de solidarité, d’engagement et de sobriété3. D’autre part, il convient de développer une nouvelle vision économique et sociale, pour permettre aux travailleurs et aux entrepreneurs de se réorienter vers le nécessaire développement des secteurs qui permettront de vivre durablement sur cette planète. Enfin, il faut mettre en place les mécanismes de solidarité permettant de mieux encaisser collectivement certains chocs inévitables, en incluant les populations vulnérables du Sud. Cela s’appelle la transition juste. Et l’enjeu est tel qu’elle devrait être une priorité politique.

Certains citoyen.ne.s qui, conscient.e.s de tout cela, ont décidé de se mettre concrètement en action pour s’engager sur la voie de la réduction des excès et de la transition juste. Ce faisant, ils rompent avec une certaine frilosité politique mais creusent un fossé avec ses représentants.

Conscientes des difficultés de nos institutions et de nos décideurs à réduire nos excès, à anticiper les risques, à écouter les alertes scientifiques, à proposer un cap inspirant et cohérent, les personnes qui perdent confiance en ces institutions et décideurs sont toujours plus nombreuses. Et en arrivent à se poser la question : à quoi sert la politique ? Quelles réponses les décideurs apportent-ils au dérèglement du climat qui s’accélère ? Quelles actions pour enrayer le déclin de la biodiversité ? Quelles perspectives pour les citoyen·nes, jeunes et moins jeunes, parfois angoissé·es par une situation objectivement inquiétante ? Quels projets, quelles valeurs pour le vivre ensemble ?

La réconciliation entre les citoyens et les décideurs ne peut passer que par le dialogue, notamment au travers d’une opposition constructive parlementaire, médiatique, syndicale et associative4. La fédération IEW a toujours été attentive à ce que l’expertise développée et les actions menées soient partagées avec et profitent à la sphère politique comme à la société civile au sens large. C’est dans cet esprit qu’a été rédigé le présent mémorandum, avec la volonté d’aider la sphère politique dans son ensemble à quitter les deux croyances susmentionnées, à s’extraire d’une pensée purement linéaire, à accepter le constat de la finitude de notre planète.

Les mesures proposées dans ce mémorandum doivent dès lors être comprises comme les pièces indispensables d’un puzzle, toutes nécessaires pour créer une vision cohérente du futur. Ces mesures doivent être comprises dans le cadre d’un projet renouvelé pour la société. IEW insiste auprès des responsables politiques et des gouvernements pour développer de manière collégiale une approche systémique dans leurs décisions. Une gouvernance visant l’intérêt général, préservant la planète et prenant soin de ses occupants. Une acceptation des limites physiques et d’une nécessaire sobriété. Une participation collective et consciente à un destin commun, dans un esprit de responsabilité et de solidarité.

« Un changement systémique guidé par un éveil moral : ce n’est pas juste notre dernier espoir, c’est le seul espoir réel que nous ayons jamais eu. »5

Le présent texte constitue une nouvelle introduction au mémorandum fédéral réalisé au moment des élections de mai 2019. Voici la version intégrale et la version courte.

  1. Entre 2010 et 2018, les émissions de la Belgique n’ont diminué que de 12,7%
  2. Croissance de la production et de la consommation, à travers le PIB
  3. https://www.canopea.be/nos-valeurs/
  4. Un pouvoir en place soucieux de la pérennité de l’Etat de droit finance sans amertume et sans arrière-pensée ces contre-pouvoirs
  5. http://richardheinberg.com/wp-content/uploads/2017/08/museletter-303.pdf

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