L’AWAC, l’Agence wallonne de l’Air et du Climat, présentait il y a peu les conclusions de l’étude « Vers une Wallonie bas carbone en 2050 » réalisée par la société Climact avec la collaboration de la European Climate Foundation (ECF). Un exercice indispensable pour rendre compte de la possibilité d’atteindre une réduction des émissions de GES de 80%, voire plus, à l’horizon 2050. Une approche intéressante, un processus de consultation de nombreux acteurs et un outil assez original à disposition du citoyen lambda… Encore faut il faire partie des « initiés » pour construire et comprendre les tenants et aboutissants de VOTRE scénario bas carbone.
On le sait, lutter contre le changement climatique nécessite de relever le défi de la décarbonisation de notre société par une réduction drastique d’ici 2050, de 80% minimum, des émissions de GES des pays industrialisés. La Commission européenne s’est attelée à l’exercice en proposant une feuille de route très généraliste et en déclinant l’objectif dans différents secteurs : Energy roadmap 2050 LIEN A ACTUALISER, Livre Blanc Transport 2050 LIEN A ACTUALISER ou encore la récente stratégie pour une bio-économie durable.
En Wallonie, la DPR (Déclaration de politique régionale) s’accorde explicitement sur les objectifs climatiques, à savoir -30% d’émissions en 2020 et -80 à 95% d’ici 2050, et sur les instruments qui devraient tracer la voie d’une Wallonie bas carbone : un décret Climat et un plan wallon Air-Climat-Energie actualisé qui devraient l’un comme l’autre sortir cette année. Mais 2020 c’est demain. 2050 c’est après-demain !
Or même dans une société « zapping » où les technologies évoluent très vite, il existe cependant une force d’inertie au niveau de certaines composantes de notre société : notre tissu industriel, notre conception de l’aménagement du territoire (les réticences sur les noyaux d’habitat en sont la preuve) ou tout simplement les changements de mentalité. Au vu de tous ces freins, c’est aujourd’hui qu’il faut décider d’une stratégie bas carbone à l’horizon 2050 et décider des moyens à mettre en ½uvre pour la concrétiser. L’étude « Wallonie bas carbone 2050» constitue non seulement un prérequis objectivant la faisabilité de l’objectif mais fait aussi figure de coup de semonce pour tous les acteurs, politiques, industriels ou représentants de la société civile. De la mise en ½uvre, plus ou moins rapidement, d’un scénario bas carbone dépendra le poids des 3 types de réponses face le changement climatique : atténuer, s’adapter ou souffrir[[Pour John Holdren, conseiller scientifique de l’administration Obama, il y a 3 options face au changement climatique]].
Un objectif, une approche, différents scénarios (méthodologie)
Une précision qui a son importance est que l’étude ne considère que les émissions (et leur réduction) générées sur sol wallon.Les émissions liées aux importations d’énergie, de matières premières ou de produits finis ne sont pas comptabilisées. L’étude ne reflète donc pas les évolutions potentielles de « l’empreinte carbone » wallonne. Quand on sait qu’une grande part des biens consommés en Wallonie provient de l’étranger, souvent de pays aux législations environnementales beaucoup plus laxistes, et que le phénomène des fuites de carbone est bien réel, les réductions d’émissions projetées par l’étude ne sont qu’une demi-victoire ou une demi-solution.
L’approche backcasting de l’étude est néanmoins intéressante puisqu’elle se fixe sur l’objectif en déclinant différentes trajectoires pour y parvenir. A côté du scénario de référence (ou BAU), sont présentés cinq scénarios qui permettent une réduction des émissions d’au moins 80%. Un scénario visant les 95% de réduction est aussi étudié. Les scénarios se positionnent par rapport à deux variables : l’évolution de la demande énergétique d’une part, et la part de production intermittente dans l’offre électrique d’autre part. A côté de cette offre en électricité est associé une part variable de CSC (le captage et stockage du carbone) appliquée à l’industrie. Il faut souligner que, dans tous les scénarios, la part du nucléaire dans la production électrique diminue dès 2015 pour disparaître en 2025 conformément au calendrier de sortie voté en 2003.
Les cinq scénarios dits « équilibrés » résultent de l’analyse de l’évolution de différents secteurs : transports, bâtiments, industrie, production d’énergie. Ces évolutions spécifiques sont elles-mêmes influencées par l’application de leviers d’actions, des paramètres tels que les changements de comportement et d’organisation sociétale (par ex. report modal) ou encore la pénétration de technologies (par ex. véhicules électrique, électricité pour le chauffage des bâtiments, clean tech dans l’industrie). Ces leviers d’action ont été déclinés selon quatre niveaux d’ambition. Le niveau 1, ambition faible correspondant au BAU et le niveau 4, ambition maximale, correspondant à ce que les auteurs de l’étude considèrent comme le potentiel technique, sous-entendu non réalisable en pratique. Pour tous les scénarios, le niveau d’ambition des différents paramètres ont été calés bien souvent sur les niveaux 2 et 3 (ambition moyenne à forte).
Inter-Environnement Wallonie, qui a participé au comité d’experts et à des groupes de travail thématiques (énergie, transport), n’a pourtant pas validé certaines options retenue par Climact. Pour la Fédération, les niveaux d’ambition pour la réduction de la demande en transport (stabilisation de la demande au niveau 3) et le niveau du report modal (de 5 à 15% maximum de report vers les modes doux) ne sont pas assez ambitieux. En effet, depuis 2005, on enregistre dans de nombreuses agglomérations françaises une inversion des tendances historiques : baisse de la demande de transport et diminution de la part de la voiture. A titre d’exemple, Grenoble, qui a mis en place des transports publics performants, a vu une chute de 6% de la part modale de la voiture en 8 ans et une baisse de 7% de la demande de déplacement, dans un contexte de croissance de la population. On est donc en droit d’imaginer que chez nous, d’ici 2050, la densité des infrastructures multimodales et les politiques freinant l’étalement urbain permettront d’infléchir la demande en transport de façon significative.Voir aussi à ce propos l’article de Noé Lecocq : Renversons l’autotolitarisme. LIEN A ACTUALISER
D’autres réserves ont été émises par IEW relative au recours plus intensif à la biomasse pour la production d’énergie. Que celle-ci soit produite sur sol wallon ou importée, les questions de durabilité et de concurrence entre différents usages sont cruciales. Si ces considérations n’ont pas à être arbitrées par les auteurs de l’étude, le politique doit s’emparer de ces questions au plus tôt. Devant les nombreuses remarques émises par des représentants de divers secteurs, un plan d’action biomasse-énergie wallon au sein d’une stratégie globale énergies renouvelables devient indispensable.
Résultats
Premier résultat important tiré de cette étude: une réduction de 80% voire au-delà (jusqu’à 93% selon certaines hypothèses) est possible. Mais comme IEW l’a déjà dénoncé LIEN A ACTUALISER, ces niveaux de réduction ne pourraient être atteints qu’en recourant aux techniques CSC, qui, en 2012, en sont encore à leurs balbutiements dans les pays voisins et au stade d’hypothèse chez nous. Etant donné la hauteur des investissements (coûts estimés de 35 à 90¤/t CO2 captée[Coût variable selon la nature du projet, la technologie de capture, le « puits » de stockage (onshore/ofshore, aquifère salin/nappe de gaz ou de pétrole épuisée), le prix des combustibles, le prix de la tonne de CO2 ….Zero Emission Platform « The costs of CO2 capture, transport and storage » (juillet 2011)]]) pour une solution somme toute transitoire (les projets full scale pas avant 2025) et une ignorance des potentiels impacts sur l’environnement[[« Capturer le CO2, c’est pas bon pour l’air » par Valéry de Tannenberg [http://www.journaldelenvironnement.net/article/capturer-le-co2-c-est-pas…]], était-il judicieux d’appliquer les techniques CSC au niveau de l’industrie dans TOUS les scénarios ?
Sans entrer dans les détails des différents scénarios, le potentiel de réduction d’émissions dans les différents secteurs est impressionnant et une grande part de ce potentiel peut être atteint par des mesures d’efficacité énergétique. Mesures liées à des avancées technologiques bien sûr mais aussi à des changements de comportements. C’est d’ailleurs un des messages phares que lance cette étude. Les grandes tendances peuvent se résumer comme suit :
• les mesures comportementales et d’organisation sociétale sont indispensables à la transition bas carbone ;
• le renforcement des mesures d’efficacité énergétique est primordiale, dans tous les secteurs ;
• les énergies renouvelables sont amenées à assurer une grande part de notre approvisionnement énergétique (de 45% à 78% de demande en énergie finale) ;
• la part de production électrique intermittente, de même que le développement de la géothermie profonde et le rôle que jouera la biomasse, seront déterminants pour anticiper et assurer l’équilibre des réseaux ;
• les techniques CSC seront nécessaires si de nouvelles technologies réduisant l’intensité carbone de l’industrie n’apparaissent pas
Et si les scénarios démontrent qu’une Wallonie bas carbone est possible, la question que tout le monde se pose est « oui mais à quel (sur)coût ? ». Conclusion importante de l’étude : à l’horizon 2050, le coût de la transition vers le bas carbone est proche, voire même inférieur au coût du scénario de référence non-décarboné! En terme de coût moyen par an et par habitant, l’économie dégagée par la mise en ½uvre de scénarios décarbonés peut s’élever jusqu’à 2000¤. Globalement si ces scénarios équilibrés nécessitent des coûts d’investissement plus élevés, l’économie se réalise sur les coûts de combustibles. Selon l’étude, une diminution drastique de la demande en énergie et un approvisionnement axé sur les renouvelables permettraient de réduire les coûts en combustibles de 5 à 10 milliards d’¤/an comparativement au scénario BAU dans lequel ces coûts augmenteraient de 20 à 40% (jusqu’à 16 milliards d’¤) en 2050. D’autre part, (mais cela dépasse le scope de l’étude) il faudrait également considérer, en termes financiers, les externalités positives générées par la décarbonisation, telle que l’amélioration de la qualité de l’air et ses bénéfices pour la santé.
Un outil disponible… pour qui ?
Une originalité de l’étude est la production d’un outil disponible sur le site www.walloniebascarbone2050.be qui permet de tester les différents scénarios. Ces scénarios sont définis selon l’évolution de la demande énergétique et de la part d’intermittence dans l’offre énergétique. On y retrouve les 6 scénarios étudiés (le BAU, 5 équilibrés et le scénario -95%), plus une série de variantes dont un scénario sans CSC. En optant pour l’un ou l’autre scénario, plusieurs graphes illustrent l’évolution de la demande en énergie (énergie primaire, électricité et chaleur) par secteurs, de l’approvisionnement énergétique par sources (renouvelables et fossiles), l’évolution des émissions et la répartition des coûts par type d’investissements (combustibles, investissements, opération&maintenance). Il est également possible de construire son propre scénario en travaillant à partir des leviers d’action dans les différents secteurs en optant pour un niveau d’ambition déterminé.
Si la mise en ligne de cet outil part d’une volonté de transparence et de communication vers le citoyen et est donc louable, on déplore qu’il n’y ait aucun lien vers l’étude complète ou son résumé exécutif (on suppose que ça va venir mais pourquoi avoir fait les choses à l’envers?). Il n’y a aucune explication quant aux hypothèses de base, aucun mode d’emploi qui faciliterait l’appropriation de l’utilisateur de cet outil bien complexe. Il n’est pas non plus possible de mettre en regard deux scénarios à des fins comparatives. Il faut donc faire partie des « initiés » pour utiliser l’outil en ligne et comprendre les tenants et aboutissants des choix opérés.
Mais ce qui est peut-être encore plus regrettable, c’est l’absence de mise en contexte (ça veut dire quoi une société « bas carbone »?), d’information sur le pourquoi de la nécessité de diminuer drastiquement notre intensité carbone et surtout sur le rôle du citoyen pour relever ce challenge.
Si l’étude « Wallonie bas carbone 2050 » est une étape indispensable dans un processus qui modifiera la société en profondeur, le futur décret climat et le plan wallon Air-Climat-Energie ne peuvent pas se cantonner à être un catalogue de bonnes intentions. Il faut les considérer comme un projet de société auquel le Ministre Henry et l’Agence wallonne de l’Air et du Climat doivent associer l’ensemble des citoyens…et pas seulement les « experts ».
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