Ce mardi 31 mai, l’Union Wallonne des Architectes organisait, en collaboration avec le Cluster Eco-Construction, un débat autour du thème : Quel urbanisme, quelle architecture pour demain ? A cette occasion, la Fédération Inter Environnement Wallonie était invitée à participer à la table ronde qui suivait la projection du film « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent. Voici quelques éléments et enjeux que ce thème soulevait à nos yeux.
Un projet urbanistique s’envisage dans une dimension temporelle
S’il est un fait indéniable, c’est que nous vieillissons, la composition de notre famille change et nos besoins en termes de logements évoluent également. Il serait par conséquent intéressant de travailler davantage sur la modularité des bâtiments afin que ceux-ci puissent plus facilement s’adapter à ces évolutions. Cette modularité pourrait également concerner les fonctions visées par le bâti. Que devient un site lorsque la fonction à laquelle il était dédié s’est éteinte et qu’aucune reconversion ne peut être envisagée, précisément parce que sa conception même n’a pas anticipé cette reconversion. C’est alors souvent aux autorités, locales et régionales, que revient la responsabilité, et la charge financière qui va avec, de reconvertir le site ou de le laisser devenir un chancre.
Nous pouvons enfin considérer que les constructions elles-mêmes doivent être envisagées et étudiées dans le temps. Les trois étapes de celles-ci (construction, utilisation et fin de vie) doivent en effet être prises en compte dès la conception du projet. Or, le choix des matériaux est un élément essentiel lorsqu’on analyse le cycle de vie d’un bâtiment. A titre d’exemple, le ciment[[La fabrication du ciment se fait à partir de calcaire et nécessite un chauffage à très haute température]] est certainement un des plus mauvais élèves lorsqu’on s’intéresse à l’impact environnemental de la fabrication des matériaux de construction. En termes d’utilisation des bâtiments, les composés organiques volatiles, plus connus sous le nom de COV, ne se défendent pas mal non plus tant leur effet est jugé néfaste sur notre santé. Enfin, la fin de vie des matériaux (réutilisation, élimination) est encore trop rarement prise en compte dans le choix des concepteurs. L’innovation dans le domaine, notamment en matière de biomimétisme ou d’économie circulaire, a donc de beaux jours devant elle.
La Cité tressée de Luc Schuiten dont les habitats sont constitués d’un maillage végétal produit par les racines d’un figuier étrangleur et les parois extérieures sont en biotextile. Source : La Cité Végétale – Luc Schuiten
Quelle intégration sur le territoire ?
Lorsqu’on associe aménagement du territoire et développement durable, on ne peut passer sous silence l’utilisation parcimonieuse du sol. En termes d’urbanisme et d’architecture, la taille des constructions, et plus précisément des logements, peut donc aussi être débattue. Même si, culturellement, augmentation des m² rime avec augmentation du confort, nous pourrions nous questionner : ne pourrions-nous pas nous loger autrement ? Le confort d’une habitation est-il systématiquement en contradiction avec une taille réduite? Cela représente certainement un défi supplémentaire pour les architectes qui doivent dès lors concevoir d’une toute autre manière l’aménagement de nos lieux de vie et peut-être revoir la fonctionnalité et l’utilisation que nous faisons de certains espaces dans les logements. Quel pourcentage de la surface de notre maison est-il dédié à du stockage ou du rangement ? Dans quelle partie de la maison vivons-nous réellement ? Ne se retrouve-t-on pas finalement toujours dans les mêmes pièces ? Par ailleurs, outre l’aspect « utilisation rationnelle de l’espace », cela pose également la question de l’accessibilité (prix) des logements proposés dans les projets urbanistiques.
Cette question de la taille des logements nous amène à évoquer un des grands enjeux en aménagement du territoire : la densification. Vu la pression démographique d’une part et l’utilisation parcimonieuse des espaces d’autre part, la densification semble inévitable, tant en ville qu’en péri-urbain. S’il est indéniable que cette densification est nécessaire, elle ne peut par contre se faire à n’importe quel prix ! La qualité de vie doit rester une priorité lorsque l’on conçoit des projets, aussi bien pour les nouveaux occupants des lieux que pour ceux qui s’y trouvent déjà. Alors, avant de supprimer et urbaniser un espace de respiration qui subsiste dans un centre-ville, attelons-nous à recenser puis rénover ce qui est déjà bâti mais inutilisé et abandonné.
Exemple d’un appartement étudiant de 10 m² offrant tout le confort moderne. Design et écologie sont également au rendez-vous. Source : Tengbom Architects
Qui dit « qualité de vie » dit présence de nature. Il est aujourd’hui inconcevable d’imaginer et penser un projet, quel qu’il soit, sans y intégrer des éléments naturels. Fini les espaces publics totalement minéralisés, les revêtements complètement imperméables comme le tarmac. On veut de la nature dans nos quartiers. La nature peut être « esthétique », en intégrant des hautes tiges dans les parkings, de l’herbe pour les sentiers réservés aux modes doux, en végétalisant des façades, ou encore en intégrant des points d’eau dans les aménagements d’espaces publics. En outre, cette nature peut être d’une grande utilité fonctionnelle en prévoyant, pour l’épuration des eaux par exemple, des bassins d’orage en surface avec des aménagements naturels dont tout le monde (animaux et biodiversité compris) pourra profiter. Enfin, n’oublions pas qu’une des premières fonctions de la nature est une nature « nourricière » : potagers collectifs ou vergers didactiques à la place des traditionnelles placettes en pavés, et pourquoi pas des serres sur les toits comme le font depuis 2011 les fermes Lufa au Canada[Pour plus d’informations sur [ce projet ]].
Lufa Farms Greenhouse à Montréal. Source : http://seedstock.com/2011/08/24/startup-profile-rooftop-farming-company-couples-science-with-sustainability/
Mis à part les nouveaux quartiers qui risquent bien de s’implanter en zone périurbaine, pour ne pas dire au beau milieu des champs, les projets urbanistiques sont généralement conçus pour être mis en œuvre au sein d’un bâti existant. Il est donc primordial qu’ils s’intègrent un maximum dans les quartiers, les rues ou les villages dans lesquels ils voient le jour. Tout d’abord, la question se pose au niveau architectural : choix des matériaux, respect des gabarits existants, densité raisonnable en fonction de chaque situation… Mais l’intégration d’un projet peut également se faire à travers d’autres éléments comme son accessibilité. Il est clair qu’un lotissement clôturé, même si les grilles sont constamment ouvertes, sera très rarement traversé par les riverains qui vivent autour du lotissement. Par contre, un ensemble d’immeubles totalement ouvert, prévoyant des cheminements piétons et/ou cyclistes à travers les bâtiments, avec des espaces verts de qualité et un mobilier adéquat, invite bien plus les habitants du quartier à profiter du projet au même titre que les nouveaux venus. Bien plus qu’une intégration « matérielle » dans un bâti existant, un projet urbanistique doit donc aussi s’intégrer au sein d’une population qui vit déjà dans le quartier.
Enfin, il n’est jamais inutile de rappeler combien un projet doit être adapté au lieu dans lequel il s’implante, à sa région, son climat, sa culture. Il est évident que la conception sera toute différente qu’il s’agisse d’un projet à Agadir, à Berlin ou à Helsinki. S’il peut être médiatiquement intéressant de confier de grands projets à des architectes étrangers de grande renommée, on reste malheureusement parfois perplexe lorsqu’il s’agit de juger la fonctionnalité et l’opportunité de ce qu’ils ont imaginé… De la même manière, les besoins, les envies et les goûts des gens peuvent varier d’une région à l’autre, d’un quartier à l’autre, voire d’une rue à l’autre. Et alors que les colloques et les séminaires sur la « participation citoyenne », le « bottom up », ou encore la « mobilisation de la base », remplissent nos agendas, nous peinons à voir apparaître ces nouvelles méthodes de travail dès la conception des projets. La constitution d’une CCATM ou l’obligation d’organiser des Réunions d’Information Préalable peuvent être présentés comme des outils participatifs mais force est de constater que trop souvent encore, la population a le sentiment qu’on lui impose un projet déjà « ficelé ». Il faudrait peut-être rappeler que la participation peut s’exercer à différents degrés (information, consultations, participation, concertation…) et à différents moments de l’élaboration du projet.
Une recette plutôt qu’un modèle
Il n’existe donc pas UN projet, UN bâtiment parfait, pouvant se résumer en un modèle à suivre et à appliquer en toutes circonstances. Celui-ci doit être flexible, avoir une capacité d’adaptation au fil du temps et s’intégrer au tissu, bâti, environnemental et humain, dans lequel il s’inscrit. Si nous ne pouvons définir un modèle d’urbanisme, nous pouvons néanmoins tenter une autre approche, une nouvelle manière d’appréhender la conception d’un projet. La participation active de la population dès cette conception en est certainement l’ingrédient principal
Légende du logo de l’article : Reconversion du Fort de Tourneville en école de musique. Le Sonic, au Havre. Architectes : A.s.A Architectes Ivan Franic/ Michel Garcin. Photographie : Franic/Garcin. Source : http://www.caue76.org/spip.php?article366
Pour en savoir plus :
Sur les petits logements : rendez-vous le 8 novembre pour un Mardi Tabou du Territoire qui sera consacré au thème : « Tiny, mini, comfy : se loger autrement », avec Jacques Teller, Directeur du centre de recherche LEMA (Local Environment Management and Activities) et Professeur d’Urbanisme à l’ULg et Nicolas Bernard, Professeur de droit aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles.
Sur les projets des Fermes Lufa : Lufa Farms
Sur la participation : le Mardi Tabou de Territoire du 6 décembre avec Véronique Hollander, d’IEW « La frustration, je participe ! »