Alors qu’en novembre, la Commission européenne reconnaissait dans son rapport sur l’évaluation à mi-parcours de l’objectif 2010 l’échec de sa stratégie pour arrêter l’érosion de la biodiversité, la France vient de publier, avec le rapport « Chevassus-au-Louis » une analyse, certes encore partielle, de la valeur associée à la biodiversité. Un travail remarquable qui met en place les prémisses d’une évaluation plus systématique des valeurs « utilitaristes » de la biodiversité. Des données indispensable pour aboutir à la plus large prise en compte des services rendus par les écosystèmes dans l’ensemble des politiques.
Donner une valeur au vivant : une des conditions d’une économie verte
« Si on doit marcher sur quelques cadavres de papillon pour développer Marche, on le fera ! », entendait-on encore récemment de la bouche d’un édile communal… Aux différents niveaux de pouvoir, les décisions publiques se limitent au respect des valeurs données à la biodiversité par la seule voie juridique, à défaut d’en connaître la valeur économique. Sans espèce strictement protégée, un milieu naturel n’a donc aucune valeur et peut-être bradé, même par nos pouvoirs publics. C’est ce que l’on peut voir ou constater un peu partout, tant au niveau communal que régional. Pourtant comme tout écosystème, ces milieux fournissent un ensemble de services à la société : régulation de l’eau, recharge des nappes, productions alimentaires, tourisme, fixation et séquestration du carbone,… En attribuant une valeur économique à ces services, même partielle, nos politiques pourront assurer des arbitrages plus éclairés, intégrant le coût de la destruction de ces milieux naturel. Un exercice difficile qui se met en place en France, suite notamment au Grenelle de l’environnement.
Une première avancée, partielle, mais indispensable
Ce rapport « approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes » apporte une méthodologie pour mesurer la valeur de la biodiversité « banale » en la réduisant à sa valeur économique et cedans une approche utilitariste, qui limite son évaluation à la valeur des services rendus à l’homme par les écosystèmes. Mais les auteurs ne se limitent pas à cette seule approche utilitariste: ils prennent également en compte des aspects complémentaires comme la dimension éthique ou sociologique. Cette démarche de valorisation de la nature apporte également un élément clé puisqu’elle intègre, sous le seul angle utilitariste, les générations futures. Un bémol, cependant : la possibilité de ne prendre en compte que les usages actuels ou prévisibles de la biodiversité.
Des chiffres qui parlent !
Dans le rapport , la valeur de référence de quelques milieux a été évaluée. On notera ainsi que la valeur « utilitariste » des forêts peut aller de 500 à 2000 euros par hectare et par an, selon la fréquentation touristiques et le mode de gestion. Pour une valeur moyenne de 970 euros par an, la valeur actualisée d’une forêt atteint la somme de 35.000 euros par ha… Pour les prairies extensives, la méthode abouti à un chiffre minimum de 600 euros par hectares par an et une valeur inférieure à 400 ¤ pour les cultures. Un chiffre que la Politique Agricole Commune, garante de l’intérêt public, devrait prendre en compte… Soulignons aussi que la valeur de la biodiversité remarquable ou menacée n’est pas quantifiée dans ce rapport qui vise les milieux naturels « courants ».
Pas de droit de détruire !
L’évolution vers une économie intégrant la valeur de la biodiversité suppose certes que l’on donne une valeur économique à la nature. Mais ce n’est pas un prix, comme pour un baril de lessive ! Il faut y joindre d ‘autres valeurs non approchables par le biais de l’économie (les valeurs éthiques, par exemple). L’obligation éventuelle découlant de ces valorisations économiques de compenser des atteintes à la biodiversité ne doit donc jamais dériver vers un droit à détruire. Dans tous les cas, il convient de rappeler qu’une transaction, qu’elle soit fondée sur la monnaie ou sur une équivalence en nature, ne peut intervenir que comme l’ultime étape d’une démarche qui consiste prioritairement à ÉVITER – ATTENUER – COMPENSER.
Biodiversité et changements climatiques : des défis d’égale importance
Le rapport souligne également qu’il importe de considérer la lutte contre les changements climatiques et la conservation de la biodiversité comme deux défis d’égale importance, dans la mesure où les effets des changements climatiques seront plus ou moins drastiques selon les modifications qu’ils induiront ou non sur la biodiversité et qu’inversement la biodiversité, selon l’état des écosystèmes, pourra moduler l’ampleur de ces changements. Il reste en conséquence impératif de maitriser les différents facteurs affectant la biodiversité, les changements climatiques risquant d’interagir avec eux et d’accroitre encore la pression qui s’exerce sur la biodiversité.
Perspectives – une meilleure gouvernance
La valorisation de la biodiversité devrait également permettre d’évaluer les différentes politiques incitatives, règlementaires et fiscales en lien avec la biodiversité. La valorisation des services rendus par les prairies extensives devrait inciter à un rééquilibrage des soutiens communautaires. La valeur des services rendus par les forêts dépassant nettement les valeurs du fonds devrat permettre d’évaluer plus justement les projets économiques développés à leur détriment. La fiscalité ne prend pas non plus en compte ces aspects et gagnerait à les intégrer puisqu’elle agit aujourd’hui comme un puissant levier à l’intensification de la gestion des milieux.
Au-delà, il conviendrait d’inverser systématiquement la charge de la preuve, d’intégrer le coût pour la biodiversité dans tous les choix publics, de supprimer les aides et exonérations fiscales qui nuisent à la biodiversité, d’imposer la réalisation de mesures compensatoires lorsque des destructions sont absolument inévitables, de garantir la création d’une trame verte et bleue…
Le rapport relève que les « subventions pernicieuses qui portent atteinte à la biodiversité dans le monde sont estimées à 200 milliards de dollars/an, soit environ dix fois supérieures au montant consacré aux dépenses pour la protection de la nature ». De même, il indique que la perte des services écologiques pourrait représenter « jusqu’à 7% du PIB mondial en 2050, ou encore 13.938 milliards d’euros par an… »
De nouvelles pistes pour un fonds Nature
Deux constats peuvent être liés : la biodiversité a une valeur économique importante et, par ailleurs, les financements pour la conservation de cette même biodiversité sont minimes.
La valorisation économiques de la nature ouvre la possibilité d’appliquer le principe du pollueur-payeur à tout projet ou activité aboutissant à une dégradation des services rendus par les écosystèmes ou plus radicalement à leur suppression par le biais de l’artificialisation des espaces naturels. Cette option doit bien entendu arriver en dernier recours, après l’application des principes Eviter – Atténuer – Compenser. Mais la valeur économique des écosystèmes aura de facto pour effet de réduire leur demande, ce qui est loin d’être négligeable au vu du gaspillage de l’espace en Région wallonne. Ces fonds pourraient être affectés à un fonds Nature destiné à mettre en place une politique nécessaire et ambitieuse de la conservation de la nature, allant au-delà de la stricte compensation.