Les impacts d’une décroissance subie. (Cet article est paru dans le supplément Economie de La Libre du 12/11/2022)
Les productions d’acier, d’engrais azotés diminueraient et pourraient potentiellement s’arrêter complètement en Europe. Cela aurait été une bonne nouvelle, si la fin de la production des engrais résultait d’un passage complet de notre agriculture au Bio et si la diminution de la production d’acier correspondait à une évolution de nos modes de consommation et de mobilité (il faut moins d’acier pour faire un vélo qu’une voiture) dans le cadre d’un plan de restructuration équilibré et sans perte d’emplois.
Malheureusement ce n’est pas le cas. Au lieu d’être le résultat d’une sobriété souhaitée planifiée et acceptée par tous, cette chute de production, est une décroissance subie suite à une soudaine et inattendue déclaration de guerre. Au lieu d’être anticipés et souhaités, ces arrêts de production s’accompagnent de risques majeurs pour la santé des entreprises, les emplois des travailleurs, voire même l’approvisionnement alimentaire de l’année à venir.
L’étendue des secteurs touchés par la situation actuelle nous rappelle cruellement la crise de bancaire de 2008 qui nous avaient déjà montré que dans notre société moderne, les secteurs (énergétiques, alimentaires, bancaires,…) sont intrinsèquement reliés les uns aux autres et que l’effondrement d’un seul peut entraîner, par effet domino, l’effondrement des autres, voire la fin de la société industrielle telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il ne faut donc pas commettre l’erreur de considérer cette crise comme une simple crise d’approvisionnement énergétique. Même si c’est la guerre en Ukraine qui a mis le feu au poudre de la flambée des prix, la raréfaction de l’énergie bon marché, la reprise post covid et l’absence criante de régulation du marché du gaz sont des facteurs importants de ce que nous vivons aujourd’hui. La crise que nous vivons ces derniers mois n’est pas qu’une crise sociale et économique, c’est une manifestation de la crise environnementale annoncée depuis plus de 50 ans ou plutôt une conséquence du manque d’actions effectives face au enjeux climatiques (le développement du renouvelable traîne, les émissions de gaz à effet de serre stagnent,…).
Le temps de l’énergie infinie est révolu, la nécessité de garder une planète viable doit mettre un terme à la course à des énergies fossiles de plus en plus difficiles à extraire. C’est pour cette raison que les mesures prônées par les experts pour “amortir le choc” de la crise actuelle, sont les mêmes que celles avancées depuis des années dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, c’est-à-dire, les mesures de diminution de nos consommations d’énergie.
Sortir du cycle des crises
Il est essentiel que la crise actuelle nous permette d’inscrire ces pratiques d’anti-gaspillage et de sobriété souhaitée au coeur de l’action politique sur la durée (PNEC, PACE,…) et que celles-ci ne se limitent pas à une action temporaire de lissage du prix de l’énergie. Car les mesures structurelles allant dans le sens de la sobriété sont fondamentales pour nous aider à développer la résilience qui nous permettra de limiter l’impact des crises à venir (oui, il y en aura d’autres). Bon nombres des mesures à prendre se retrouvent dans le projet Plan Air Climat Energie (PACE) de la région Wallonne en cours de discussion.
Bien sûr, diminuer nos consommations d’énergie à court terme, bien qu’indispensable, ne suffira pas à résoudre les difficultés financières rencontrées par les citoyens et les entreprises pour payer leur facture d’énergie mais elle peut en être un élément déterminant. C’est surtout à long terme que ces mesures doivent nous permettre de répondre à la question de notre sécurité d’approvisionnement sans nous jeter dans les bras de nouvelles dépendances (comme le gaz liquide américain ou qatari).
Un débat démocratique sur l’essentiel et le superflu
Bon nombre de ces mesures sont collectives (transport en commun, aménagement du territoire plus sobre,…) avant d’être individuelles. Elles visent à se débarrasser du superflu tout en assurant l’essentiel pour tous. On l’a vu pendant la crise de la COVID, la notion d’essentiel et de superflu est des plus subjective et il est fondamental que les choix des mesures de sobriété qui seront mises en place soient prises de manière démocratique pour qu’elles puissent être soutenues par le plus grand nombre.
Il est évident que la sobriété ne s’appliquera pas de la même manière à tout le monde; car nous ne sommes pas tous égaux en termes d’ébriété énergétique et de satisfaction de nos besoins essentiels.
Se chauffer (et prendre des douches) est un besoin de base, c’est essentiel pour tous. Baisser son thermostat d’un degré est un geste facile à faire pour ceux qui vivent dans un confort relatif, mais n’est pas une mesure à envisager pour certains publics vivant dans des passoires énergétiques où une diminution supplémentaire de température risquerait d’avoir un effet négatif sur la santé des occupants.
Nous devons aussi constater que le marché libéralisé de l’électricité et du gaz est un échec. Cette libéralisation a oublié un élément essentiel : l’énergie n’est pas qu’une simple commodité (pour certains) c’est un besoin fondamental pour une part significative de nos consommations résidentielles (une fois le gaspillage éliminé) et un élément essentiel pour la survie de notre économie.
Afin d’assurer l’essentiel pour tous, il est plus que temps que l’État reprenne la main sur le marché de l’énergie au travers d’une vraie régulation et pas seulement d’une taxation partielle de surprofits. Se débarrasser des coûts inutiles de l’enrichissement des spéculateurs et des actionnaires des gros producteurs, c’est aussi une forme de sobriété souhaitée dont nous avons un besoin urgent.
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