Plaidoyer pour que la Wallonie fixe au plus vite des obligations de rénovation énergétique des bâtiments résidentiels.

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Décarbonner notre société passe forcément par une action sur le parc de logements. Aujourd’hui le chauffage et l’eau chaude représentent 15% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de notre région. L’isolation du parc de logements est donc une priorité.

Pourquoi passer par l’obligation ?

Depuis des années, les autorités ont promu la rénovation via des incitations financières (des primes, des prêts à taux préférentiel, voire des exemptions fiscales) mais aujourd’hui, le taux de rénovation de notre parc  demeure bien trop faible et, au final, les aides publiques ont peu de succès auprès des citoyens. En outre les rénovations entreprises se limitent le plus souvent aux fenêtres voire au toit, c’est à dire à des rénovations « superficielles » alors que c’est de rénovation profonde qu’il devrait s’agir.

Les politiques de rénovation purement incitatives ont jusqu’ici échoués à enclencher une « vague de rénovation ». A la demande de l’institut francais Négawatt , Science Po Paris a analysé les différents soutiens mis en œuvre en UK et en Allemagne. Même dans un modèle très riches en subvention (30 000 €/logt) comme en Allemagne, les autorités n’arrivent pas à enclencher la rénovation sans avoir recourt à un cadre obligatoire.

Fixer des obligations de rénovation est d’autant plus pertinent que l’épargne de nombreux wallons a gonflé suite au confinement et que ces sommes doivent être collectivement orientées vers un secteur pourvoyeurs d’emploi local, bénéfique pour l’écologie et pour l’économie de la région. L’obligation de rénovation est donc centrale pour des plans de relance durable tel le Plan SOPHIA soutenu par IEW.

Pour enclencher le turbo, le Gouvernement wallon devra absolument passer par la case « obligation de rénovation ».

Un phasage optimal a trouver

Dans sa déclaration gouvernementale, le Gouvernement ouvre la porte à cette option et prévoit la mise en place de « normes énergétiques à respecter pour les biens mis en location pour la première fois dans le courant de la législature » qui « seront progressivement étendues, au-delà de 2025, aux biens mis en location pour lesquels il y a changement de locataire ou de propriétaire ». Un an après le début de la législature, il est urgent d’avancer sur cette mesure clé.

Toutefois, le nombre de biens rénovés mis en location pour la première fois étant extrêmement limité, nous estimons que la DPR est bien trop prudente. Il n’y a pas de raison d’attendre 5 longues années pour inscrire l’obligation pour les bâtiments après changement de propriétaires. D’autant que dans ce cas, la diminution de valeur du bien liée à l’obligation de rénover sera automatiquement transférée sur la valeur d’achat du bien. Finissons-en avec les transfert de responsabilité au Gouvernement suivant ! L’extension de l’obligation à d’autres bien peut être prévue à l’horizon de la prochaine législature.

Quelles balises pour une obligation de rénovation ?

Mais les autorités hésitent à prendre des mesures obligatoires forcément impopulaires. Pour y arriver elles doivent nécessairement respecter 3 balises :

  1. L’obligation de rénovation doit tendre vers la neutralité budgétaire pour chaque ménage.
  2. Les soutiens publics doivent être simplifiés.
  3. La garantie de qualité technique des travaux est indispensable.

Viser la neutralité budgétaire pour les propriétaires et les locataires

Des emprunt à taux zéro de longue durée

Une rénovation efficace d’un logement diminue les consommations de chauffage et d’eau chaude sanitaire. En outre, elle augmente la valeur nominale du bâtiment et donc du patrimoine du propriétaire. Notons également que si la rénovation s’accompagne d’une division d’un logement qui était trop grand pour ses occupants, les gains financiers sont sur-multipliés et l’opération peut rapidement devenir une importante source de revenus. Cette « adaptation » des logements trop grands en plusieurs unités plus adaptées à la taille des ménages doit plus que jamais être encouragée.

Pour couvrir les coûts d’investissement, les autorités doivent proposer des emprunts à taux zéro à durée modulable de manière à ce que les annuités de remboursement soient égales, voire inférieures aux gains liés à la rénovation. Cela implique pour certains bâtiments plus récents vis-à-vis desquels les gains liés à une meilleure isolation peuvent être moins importants de mettre en place des emprunts de longue durée (jusque 40 ans soit la durée de vie des travaux de rénovation). Cela implique la création d’emprunts à taux 0 attachés à la pierre et non plus à la personne (l’emprunt serait transférable en cas de changement de propriété). Peu importe l’âge de la personne et sa situation particulière au moment de la souscription du prêt, ce sont les occupants successifs qui auront en charge le remboursement des emprunts garantis par le bien lui-même.

Des primes globales à la rénovation profonde

Pour beaucoup de bâtiments plus récents (et donc relativement mieux isolé) et dans un contexte ou le prix des carburants de chauffage fossile demeure bien trop bas par rapport à leur impact sur notre santé et notre environnement, les économies réalisées sur le chauffage ne suffiront pas à couvrir les annuités de remboursement. La neutralité budgétaire ne peut être atteinte sans aide publique.

Prenons, à titre d’exemple, une rénovation dont le coût moyen est estimé en Wallonie à 80.000 €. Les annuités à verser dans le cadre d’un prêt à taux 0 pour couvrir les travaux sur 30 ans seraient de 222€/mois (166€ sur 40 ans hors frais administratifs), soit bien plus qu’une facture de chauffage/eau chaude moyenne qui tourne autour de 80€/mois (pour une consommation de 20000Kwh avec une chaudière gaz).

Dès lors, le Gouvernement doit dégager des moyens supplémentaires octroyés sous forme de primes à la rénovation globale (c’est-à-dire conditionnées à la réalisation de travaux profonds) pour couvrir la différence entre investissements et économies. Dans le cadre de la politique de relance, ce sont les euros publics les mieux investis que l’on puisse imaginer : vecteurs d’emplois locaux non déolocalisables, intensifs en travail, avec un potentiel de développement d’une filière exportable… Ce plan d’investissement dans la rénovation doit être au centre des plans de relance wallons. Malheureusement, à l’heure actuelle, le projet de plan Get up Wallonia met insuffisamment l’accent sur ce secteur.

Simplifier les procédures de soutien public !

Les dispositifs de financement actuels sont infiniment trop complexes, trop changeants, et finalement inaccessibles pour qui veut y recourir. La simplification administrative et réglementaire des octrois d’aides (primes et prêts) est une nécessité dans le cadre d’une obligation de rénovation (et même sans !)

La stratégie rénovation wallonne prévoyait déjà comme mesure phare la mise en place d’un guichet unique reprenant « l’ensemble des services d’accompagnement aux ménages pour les dimensions énergie et logement. »1. Trois ans plus tard, seul un projet pilote a été lancé. Il est donc maintenant plus qu’urgent de consacrer l’énergie nécessaire à la mise en place de ce guichet chargé notamment d’accompagner les ménages sur le terrain afin de faciliter leur mise en relation avec des artisans agréés, d’aider à la mise en place aisée du financement, de coordonner l’ensemble des acteurs locaux. Cela passera forcément par un renforcement des équipes chargées de ce suivi au sein de l’administration.

Aujourd’hui, malgré plusieurs réformes de simplification, la défiance des wallons à l’égard des primes publiques semble importante. Pour rétablir la confiance, une obligation pour l’administration de traiter les demandes d’aide dans un délai imparti doit être garantie avec des pénalités en cas de non respect.  

Enfin, nous devons aller plus loin dans la simplification des primes octroyées pour la rénovation. Comme nous l’avons déjà souligné, nous devons passer d’un système de primes ponctuelles par travaux à un système de prime globale plus simple et plus lisible pour les candidats rénovateurs.

Garantir la qualité technique des travaux

Plusieurs pays dont l’Allemagne ont mis en place un processus de vérification de la qualité des travaux. Cette mesure s’avère nécessaire pour vérifier qu’à usage constant (sans effet rebond), les travaux de rénovation entrainent bien les diminutions de consommation énergétique « promises » par l’audit. C’est donc un fondement pour l’acceptation sociétale de l’obligation de rénovation.

Le contrôle devra s’opérer pendant la durée des travaux et en fin de chantier afin de valider définitivement la réalisation.

Conclusion- L’obligation est la clé de voûte d’une campagne massive de rénovation

L’obligation de rénovation ne sera bien sûr pas suffisante pour atteindre les objectifs de rénovation du parc de bâti. Ce n’est pas une baguette magique. D’autres mesures devront l’accompagner, notamment des mesures fiscales (comme la portabilité des droits d’enregistrement), réglementaires (la simplification et l’homogénéisation des règles d’urbanisme pour la rénovation et l’adaptation des logements), l’amélioration de la formation des entrepreneurs de la rénovation, la création de nouveaux outils de financement… La stratégie rénovation qui sera bientôt mise à jour offre une superbe boite à outil…  De même que notre dossier Climat et logement : plaidoyer pour une approche systémique. https://www.canopea.be/climat-et-logement-un-nouveau-dossier-iew/

Mais si l’obligation n’est pas suffisante, elle est absolument nécessaire. C’est une clé de voûte du système qui permettra notamment d’enclencher une dynamisation de la filière rénovation bien trop faible aujourd’hui pour garantir une concurrence et une émulation technique entre les entrepreneurs concernés. Les obligations de rénovation doivent donc être introduites progressivement et de manière lisible pour accompagner l’émergence d’une filière efficace. Le renforcement de la formation permanente des ouvriers du bâtiment aux techniques de la rénovation doit accompagner cette émergence et non la précéder.

Notons pour terminer que l’obligation de rénovation risque de diminuer la valeur du parc de logements existant par rapport à l’attractivité du bâtiment neuf. Ce faisant, cela pourrait entrainer un effet négatif de report du marché immobilier vers les logements neufs et in fine, être négatif d’un point de vue environnemental dans une logique du Stop Béton, (arrêter l’éparpillement urbain). Les politiques de soutien à la rénovation et d’encadrement de la construction (certification PEB, politiques Stop Béton) doivent donc être calibrées pour éviter pareil transfert.


  1. Stratégie renovation pour la Wallonie; Avril 2017; P.5