L’actualité récente en matière d’alimentation (le « boeuf-cheval roumain » dans nos plats préparés et le retour autorisé par l’Europe des farines animales ) nous révèle une fois encore les pratiques peu ragoûtantes mais combien rentables des systèmes de production de protéines animales (viande, poisson) par l’industrie agroalimentaire… Mise en perspective
Depuis un bonne semaine le petit monde de l’agroalimentaire européen – et partant des très nombreux consommateurs de plats préparés carnés – est secoué par l’affaire des lasagnes au boeuf qui se révèlent être des lasagnes au cheval… D’aucuns affirment avec véhémence qu’il s’agit d’un véritable scandale sanitaire à classer au même rang que la crise de la vache folle ou des poulets à la dioxine. Nous pourrions presque leur donner raison si ce qui les offusque ainsi n’était pas la condamnable erreur – volontaire ou non – d’étiquetage mais bien la qualité de la viande incriminée, qu’elle soit de boeuf, de cheval, de porc ou autre.
Minerai de viande, pink slime… (attention, estomac sensible s’abstenir !)
Cette agitation médiatique eut au moins l’avantage de porter à la connaissance du grand public l’existence du « minerai de viande » que l’on retrouve dans la grande majorité des surgelés préparés. Il s’agit d’un magma de marchandises assez indéfini, dans lequel nous retrouvons des muscles trop inervés, du maigre, du gras, des cartilages, du collagène…[Voir aussi : [Minerai de viande : « Avant, on n’osait pas en faire de la bouffe pour chat » ]] Bref, quasi tout ce qui reste une fois les morceaux « nobles » sélectionnés. Le tout est haché plus ou moins menu, surgelé et vendu à qui en demande, soit essentiellement les producteurs de plats préparés contenant du haché, tel Findus[Ne manquez pas [ce témoignage d’un intérimaire viande sur le site de RUE81]]. Pour s’assurer une bonne rentabilité, il suffit de confier la prospection de la bouillie en question à des traders chevronnés qui se feront un honneur de vous dégotter la marchandise à un prix défiant toute concurrence.
Un équivalent américain – donc plus subtile encore… – de ce minerai est appelé la pink slime. Agnès Rousseaux, journaliste chez bastamag.net, la décrit ainsi[[ne manquez pas de lire l’intégralité de cet article qui vous indiquera que je n’exagère pas dans celui-ci !]] : cela ressemble à de la guimauve rose liquide. Cette mixture de viande est obtenue en passant les carcasses de poulet ou de porc dans une centrifugeuse à haute température, ce qui permet de récupérer le moindre morceau de barbaque. Les tendons, graisses, tissus conjonctifs sont transformés en pâte. Petit détail : ce hachis liquide provient des parties les plus prédisposées à la bactérie E.coli et aux salmonelles. Ce qui rend nécessaire, pour tuer tous les éléments pathogènes, un traitement à l’ammoniaque, substance considérée comme non dangereuse par les autorités sanitaires, et utilisée par ailleurs pour la fabrication d’engrais, le détartrage des métaux, ou la fabrication d’explosifs… Aux États-Unis, le produit est ajouté depuis des années à la viande hachée ou aux hamburgers.
Mais pourquoi de telles pratiques direz-vous ? Pour rentabiliser la moindre calorie vous répondront, sans sourciller, les représentants de cette industrie douteuse.
Le retour des farines animales
L’affaire bat encore son plein que Bruxelles annonce de son côté qu’elle autorise le retour, à partir du premier juin, des farines animales[vous trouverez [ici un document précisant la technologie de fabrication des farines animales]] (porc et volailles) pour les poissons d’élevage, et rien que pour eux dans un premier temps. On les réintroduira probablement un peu plus tard pour les porcs et la volaille (en 2014) en continuant à l’interdire pour les ruminants (bovins, ovins et caprins). Certaines leçons ont été tirées du scandale de la vache folle, mais manifestement, à la marge.
Si la question de réintroduire les protéines animales transformées est en effet à nouveau posée, c’est qu’elles présentent un avantage majeur : leur coût est faible relativement à leur richesse énergétique , critère sur lequel aucune céréale ne rivaliserait[Voir : [En marche vers une réintroduction des farines animales en Europe ?.]].[[Nous n’aborderons pas ici, même si c’eut été nécessaire pour l’exhaustivité du raisonnement, la question de la gestion des déchets que sont les carcasses animales.]]
L’argent, nerf de la guerre !
Coûts faibles, rentabilisation maximale, tout est dit… Les arguments sont économiques, point.
A un bout de la chaine : « Aujourd’hui, on peut dire que la viande a atteint la perfection industrielle, c’est une industrie mondialisée, qui appartient souvent à des fonds de pension ou des organismes financiers et qui pose les mêmes problèmes que l’économie financiarisée : la nécessité de dégager des taux de rentabilité de 8 à 10%… » avance Fabrici Nicolino, auteur de « Bidoche » et interviewé par Rue89.
A l’autre bout : « Je ne suis pas surpris, témoigne sous le couvert de l’anonymat un inspecteur sanitaire basé à Londres. Les supermarchés cherchent tellement à écraser les prix que les dérapages sont inévitables. » (source : Le Monde)
Cette attention particulière à rentabiliser au maximum la « matière première » à disposition permet donc de concilier les bénéfices plantureux des entreprises agroalimentaires et le souhait d’une nourriture qui coûte le moins possible d’une majorité de consommateurs européens. Corollaire : d’un côté on nourrit la majorité des cheptels pour viande de manière peu équilibrée (particulièrement dans l’élevage intensif) pour nourrir la population sur le même modèle[[La part de l’alimentation industrielle dans les dépenses alimentaires des
ménages est restée assez stable depuis 1960, passant de 80 % à près de
85 % aujourd’hui.]]. De là à dire qu’on a la bidoche que l’on mérite…
Pointons brièvement ici que c’est aussi pour des raisons économiques que l’on se retrouve soudain avec une énorme quantité de viande de cheval à écouler. D’une part les Roumains quittent l’ère du cheval pour entrer dans l’ère de la voiture et veulent tirer un bénéfice de la vente de leurs vieux chevaux, d’autre part, crise économique oblige, beaucoup de propriétaires de chevaux en europe ne peuvent plus s’en occuper et veulent donc s’en séparer : ça coûte cher, sauf à les vendre à bas prix à des abbatoirs…[[Avec la récession en Europe, beaucoup de propriétaires d’équidés n’ont plus les moyens de les conserver. Une possibilité est de les abandonner : l’association World Horse Welfare (WHW) estime ainsi que 6 000 chevaux ont besoin de trouver un nouveau refuge au Royaume-Uni.
Une autre solution est de les envoyer à l’abattoir. « Incinérer un cheval coûte de l’argent. En faire de la viande rapporte quelques centaines d’euros », explique Jessica Stark, porte-parole de WHW.
En Irlande, le pays d’Europe qui a la plus grande concentration de chevaux, 25 000 ont été envoyés aux abattoirs au cours de l’année 2012, contre 2 000 en 2008. Au Royaume-Uni, le nombre a doublé en trois ans pour atteindre 9 000. Du coup, la viande chevaline est très bon marché.
En Roumanie, la situation est légèrement différente, mais le résultat est le même. Une loi interdisant les voitures à chevaux sur les routes nationales a rendu inutiles de très nombreux équidés ; beaucoup se sont donc retrouvés à la boucherie. Aujourd’hui, selon les prix d’un abattoir roumain que Le Monde a pu consulter, la viande chevaline coûte moitié moins cher que celle de bœuf.Source : le monde.fr : Viande : chronique d’un scandale annoncé ]]
L’occasion est donc belle de mettre les choses en perspective et de rappeler quelques principes qui nous tiennent à coeur en matière d’alimentation et plus particulièrement de production de viande.
Trop de viande nuit
Dans sa synthèse très documentée sur les impacts de la surconsommation de viande sur le climat, Lionel Delvaux, expert en agriculture, avance : « globalement, la consommation de protéines animales est liée au revenu des populations. Elle est ainsi distribuée entre pays développés et en développement dans un rapport de 3 à 1 soit 53gr/jour dans les premiers et 18 dans les autres[[Implications of Global Trends in Eating Habits for Climate Change, Health and Natural Resources , Study IP/A/STOA/IC/2008-180]]. Ce rapport est par contre équivalent pour les protéines végétales (39gr/jour versus 43). Sur base des données moyennes, seul les pays sous-développés manquent de protéines dans leur alimentation. Les pays développés en ont par contre une consommation excessive qui, in fine, correspond à un surplus de 80 %… »
Serait-il donc immoral ou inéquitable de réduire la quantité de viande produite en privilégiant un minimum de qualité tout en permettant aux pays du sud d’assurer de leur production et d’en vivre ? On pourrait commencer – tiens en voilà une bonne idée ! – par se passer du minerai ou de la pink slime…
L’impertinence de cette question frisera l’insolence quand on introduira des questions de santé publique. Lionel Delvaux de poursuivre : « (…) les herbivores nourris aux maïs et tourteaux de soja par exemple – c’est à dire la toute grande majorité ndlr – produisent une viande riche en acides gras oméga 6 tandis que ceux nourris à l’herbe, à la graine de lin ou encore aux protéines comme les fèveroles ou les pois (donc que l’on peut produire en Europe) fournissent des acides gras oméga 3. L’excès des premiers concourt aux risques de maladies cardiovasculaires dont le coût aux États-Unis en termes de santé publique équivaut à plus de 3 fois le budget de la PAC ! Les omégas 3 réduisent quant à eux ces mêmes risques. » On le voit, le cercle est particulièrement vicieux.
Dans une brève synthèse intitulée « Viande : le problème c’est l’élevage intensif…« , Sylvain Delaunoy, également expert en agriculture posera le problème de manière on ne peut plus simple : « Certains l’oublient, la viande provient directement du muscle d’un animal, qu’il ait été spécialement élevé pour sa viande ou non. Et, si l’on veut bien y réfléchir, la qualité de la viande dépend de la manière dont le muscle s’est développé (quelle a été son alimentation) et a été exercé (la bête ayant besoin de sport pour avoir bon goût !)« . Or, la grande majorité des animaux de boucherie mange mal (voir ci-dessus) et ne bouge pas (confinement extrême des élevages intensifs) ! Il est d’ailleurs inquiétant de faire le même constat pour « l’animal humain » : il mange souvent mal au point qu’il y a aujourd’hui quasi plus de problèmes d’obésité que de malnutrition (en 2012, 1,5 milliard d’humains souffrent de la faim et 1,4 millard d’humains souffrent de surpoids ou d’obésité), laquelle obésité conjugue alimentation déséquilibrée et sédentarité excessive – choisie (et non forcée comme c’est le cas dans les élevages industriels).
Mangeons moins, mieux et au prix juste pour tous !
Les constats sont là et sont « interpellants ». Les principales causes sont connues. S’il est fastidieux de passer en revue ici les différents moyens pour pallier à ces dérives, on peut au moins pointer les domaines d’intervention : une modification radicale de notre système agricole en prenant en compte notamment les apports de l’agroécologie (voir aussi : Agriculture et environnement : l’inaction politique creuse le fossé ! mais également « Agroécologie et droit à l’alimentation »), la souveraineté alimentaire et une réappropriation par les citoyens du système alimentaire à l’échelle locale. Il y a fort à parier que ces nouvelles pratiques modifient radicalement nos rapports à l’alimentation et aient un impact non négligeable sur nos modes de vie.
Et quid du prix de la viande, lequel justifierait toute cette production de m… ? « Ne nous trompons donc plus de débat : si le prix de la viande était juste, équitable et donc rémunérateur, les difficultés du secteur – qui justifie tant les farines que les minerai et autres pink slimes – seraient toutes autres » conclut Sylvain Delaunoy.
Reste à vaincre l’inertie du système actuel dont la force doit être mesurée à l’aune de l’ampleur des dégâts occasionnés… aujourd’hui « acceptés » comme une simple fatalité.