Limitation des services disponibles aux guichets de la SNCB, fermeture envisagée des plus petites gares, réduction de l’offre TEC le week-end, … quelle étrange « campagne » pour inciter les citoyens à utiliser d’autres moyens de déplacement que la voiture individuelle !
Vagues de libéralisation, assainissement des finances, rationalisation des services, mesures d’austérité, … Dans ce contexte, les prestataires de services publics de transport en commun sont tenus de se plier aux diktats d’une rentabilité économique parfois difficilement compatible avec des objectifs sociaux et environnementaux pourtant reconnus prioritaires par ailleurs. Les travailleurs, inquiets pour la qualité du service, pour leur emploi et pour le maintien de leur pouvoir d’achat se rebiffent, souvent à juste titre. Et l’usager, lui, trinque : retards, annulations, remise en question de l’offre (projets de suppression de trains, de guichets, de gares, ..). En filigrane de tout cela, c’est l’image de l’ensemble des services publics de transport en commun qui se dégrade inexorablement dans un contexte où ils devraient sans tarder prendre massivement le relais des déplacements motorisés individuels. Il est dès lors du devoir des pouvoirs publics de « reprendre la main » afin d’enclencher la spirale positive « augmentation/amélioration de l’offre, augmentation de la demande ».
En Wallonie, les transports routiers ont augmenté leurs émissions entre 1990 et 2007 de 31%[[Données chiffrées issues du Tableau de bord de l’environnement wallon, p.87, 2010.]]. Pour éviter un réchauffement de plus de 2°C d’ici 2050, il est urgent de prendre des mesures fortes pour réduire les émissions du secteur des transports. Le réchauffement climatique n’est pas le seul problème. Les déplacements motorisés sont aussi responsables d’une pollution locale très préoccupante, notamment en termes de santé publique. La Belgique vient d’être rappelée à l’ordre par l’Europe pour un non respect des normes au niveau des particules fines dans l’air. Sans parler de la pollution sonore, du morcellement de notre territoire, de la dégradation de nos paysages, de la perte de notre biodiversité…
Réduire l’offre et le service, un non-sens pour convaincre de nouveaux utilisateurs
Il y a moins d’un mois se déroulait la Semaine de la Mobilité. Qu’il s’agisse de vélo, de marche ou de transports en commun, les alternatives à la voiture particulière étaient mises à l’honneur. Fort bien. Une communication positive est indispensable, tant il est difficile de se défaire de la dépendance à cette bulle en tôle qui a longtemps rimé avec confort, rapidité, prestige et liberté. Il faut savoir que notre réflexion rationnelle par rapport aux avantages et inconvénients des différentes modes de transports est fortement affectée par des éléments d’ordre subjectif bien ancrés. Hélas! L’actualité concernant les transports en commun ne fait que renforcer l’image peu luisante de cette alternative auprès des automobilistes à convaincre, qui forment encore le gros de la population!
La présence humaine : le trait d’union indispensable entre une société de transports et ses (futurs) clients
Dépasser ses a priori négatifs à propos des modes alternatifs est une première étape dans le parcours difficile du report modal. Il faut ensuite se lancer et tester les alternatives. Malheureusement, la « motilité »[[La motilité est un concept qui a été développé par le sociologue Kaufmann pour exprimer la compétence à se déplacer et qui inclut capacité physique, intellectuelle et culturelle.]] n’est pas encore inscrite dans les programmes scolaires. Alors si vous n’avez pas bénéficié d’une campagne à l’école (le brevet cycliste, le permis mobile, …) ou d’un apprentissage en famille, l’aventure s’annonce un tantinet stressante ! Quelle ligne de bus ? Dans quel sens ? Y a-t-il un train direct ? Et pour le retour ? Où acheter mon ticket ? Les réponses à ces questions sont loin d’être évidentes pour les novices du transport en commun. Bien entendu, pour les « branchés internet », l’information peut être trouvée (pas toujours aisément d’ailleurs) sur les sites web des sociétés de transport. Mais qui ne cherchera pas la confirmation rassurante d’un aimable guichetier ou chauffeur avant de s’embarquer pour la première fois dans un bus ou un train? Vous avez appris à rouler en voiture sur internet vous?
Des économies dans les transports publics, pertinent ?
Les transports publics ont un coûts pris en charge par l’État, c’est une réalité. Pour vous donner un ordre de grandeur, les pouvoirs publics (État fédéral et entités fédérées) financent le secteur des transports publics à raison d’un peu plus de 4 milliards d’euros par an (ensemble des subventions versées aux quatre sociétés de transports publics[[Il n’est pas évident d’estimer précisément l’intervention publique dans les sociétés de transports à partir des données disponibles. Les chiffres d’affaires publiés englobent les dotations publiques et les recettes de trafic (vente des titres). Voici les sources que nous avons utilisées : Rapport d’activités 2009– comptes annuels – compte de résultats consolidé:
Groupe TEC : chiffre d’affaires = 110.496.214,27 EUR et autres produits d’exploitation = 410.251.785,74 EUR (recettes de trafic = 110.600.000 EUR)
(le poste « chiffre d’affaires » comprend les recettes de trafic et les compensations versées par la Wallonie pour les mesures de gratuité et le poste « autres produites d’exploitation » reprend dans sa majorité les subventions d’exploitation et les subventions d’investissements d’exploitation versées par la Wallonie au Groupe TEC)
Groupe SNCB: chiffre d’affaires = 2.831.451.158,07 EUR et autres produites d’exploitation = 146.025.318,13 EUR (recettes de trafic = ?)
(l’État verse des contributions et des compensations financières au Groupe SNCB sous la rubrique « chiffre d’affaire » pour les tâches relatives au transport intérieur de voyageurs et à l’entretien, la gestion et l’exploitation de l’infrastructure et sous la rubrique « autres produits d’exploitation » pour les charges liées aux pensions et accidents de travail.
De Lijn : Chiffre d’affaires = 962.948.000 EUR et autres produits d’exploitation = 30.768.000 EUR (recettes de trafic
STIB: Nous ne disposons pas du bilan comptable de la STIB et il n’est pas accessible via leur site internet. Les chiffres dont nous disposons sont issus d’un article de E. Crals (VUB) et H Matthijs (U Hasselt) à propos des flux monétaires dans le transport. Selon les auteurs, la STIB a reçu en 2005 une dotation de la Région de Bruxelles-Capital de 541.243.00 EUR. Ces mêmes auteurs estiment la dotation de De Liin à 751.279.000 EUR et celle du rail belge à 2.756.274.000 EUR.]]). La voiture serait, elle, la vache à lait de l’État. Selon les chiffres de la FEBIAC, certainement : les recettes liées à l’utilisation de véhicules perçues par l’État fédéral et les Régions se sont élevées à environ 12 milliards en 2007. Largement de quoi subventionner un service de transport en commun pour des personnes qui n’ont pas accès à la voiture, pourrait-on penser? Malheureusement non. D’après l’estimation des coûts externes de la voiture en Belgique par l’Agence européenne de l’environnement, l’utilisation de la voiture a coûté 15 milliards aux pouvoirs publics belges cette même année[[Pour plus de détails sur ces estimations, consultez le dossier d’IEW « taxer plus et taxer mieux » rédigé par Pierre Courbe (disponible sur demande).]].
Alors si des économies doivent être faites, pourquoi ne pas les faire dans le secteur des transports privés ? Certains feront remarquer que cela impacterait plus de personnes. C’est vrai : il y a en Belgique plus d’automobilistes que d’utilisateurs de transports en commun, et c’est d’ailleurs un problème majeur pour notre environnement. Mais dans un contexte de crise économique, ne faut-il pas protéger d’abord les personnes les plus fragiles ? Tout le monde n’a pas les moyens d’acheter une voiture : 20% des ménages wallons ne disposent pas d’un véhicule particulier, – parfois par choix, il est vrai, mais plus fréquemment par contrainte.
Par ailleurs, il est instructif de prendre en considération les chiffres de l’emploi[[Données emploi des sociétés de transports en communs belges disponibles dans leur rapport d’activités 2009 : Le Groupe TEC emploi 5.060 personnes, le Groupe SNCB : 37.154 (EQTP), De Lijn : 6.478 personnes et la STIB : 8.561 (EQTP)]]. En effet, les subventions publiques octroyées aux sociétés de transport ne permettent pas seulement à des millions de personnes de se déplacer avec une empreinte écologique réduite, elles permettent aussi d’offrir plus de 55.000 emplois, accessibles pour une large part à du personnel non ou peu qualifié. Et dans un contexte de crise économique et de réduction de l’emploi dans le secteur automobile (caractérisé par une sur-capacité de production que les constructeurs tentent de maîtriser), n’est-ce pas aussi le rôle des pouvoirs publics ?
Un service de transport public a une utilité sociale, économique et écologique.
Pour les voyageurs – actuels et futurs -, pour notre environnement et pour notre santé, des services de transport public efficaces et attractifs sont indispensables et urgents. Les pouvoirs publics doivent investir davantage dans des services de transports en commun pour ne pas avoir à panser, financièrement, les catastrophes économiques, écologiques, sociales et de santé auxquelles peuvent conduire un système de transport basé majoritairement sur la voiture particulière. Et les sociétés de transports publics doivent veiller à une allocation efficace de leurs moyens dans une optique de meilleur service à la clientèle. Pas question ici de s’opposer à toute forme de rationalisations. Certaines sont pertinentes au regard des enjeux économique, écologique et de santé auxquels nous sommes confrontés. Des moyens investis pour des services de transport hérités du passé et qui ne correspondent plus à la demande actuelle de mobilité peuvent être supprimés… ou plutôt réinvestis ailleurs, afin d’offrir un service de qualité qui réponde aux besoins de mobilité des personnes. Si des économies ponctuelles s’avéraient indispensables, elle ne peuvent se traduire par une réduction de l’emploi et du service offert.