Produire pour s’assurer un revenu décent et nourrir la population d’une part ou protéger les ressources naturelles et entretenir les paysages de l’autre sont les leitmotivs clivants auxquels je me confronte depuis quelques mois en tant que chargée de mission ruralité chez IEW et épouse de fermier. Clivants et caricaturaux, ils ont tendance à s’exacerber dans les discussions entre parties prenantes pour la construction du Plan Stratégique wallon pour la future Politique Agricole Commune (PAC).
Etonnant… lorsque depuis 5 ans que je travaille dans le secteur agricole, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’agriculteurs pour lesquels l’intégration de l’ensemble des dimensions de la durabilité (économique, environnementale et aussi sociale) est un objectif allant de soi pour assurer la pérennité de leur métier. Au-delà de l’intention, certains semblent assurer cette fameuse « transition » des systèmes de production qui allie nature et agriculture au-delà de la rime.
A l’initiative du WWF-Belgique, une étude réalisée par SYTRA1 à l’Université de Louvain (UCL) vient d’objectiver cette observation empirique pour différents systèmes de production bovins en Wallonie.
Le principal résultat de l’étude tient dans ce schéma pour les exploitations laitières2.
La figure ci-contre illustre le croisement du revenu du travail familial avec un score d’impact environnemental global3. Plus les points – représentants les systèmes de production – sont hauts à droite, plus l’alliance économique et environnementale est bénéfique.
Les systèmes herbagers4 sont ceux qui ont un moindre impact sur l’environnement – soit, les plus performants d’un point de vue environnemental. Et, économiquement, ils valent au moins le niveau des autres systèmes. Aucun système ne montre des performances économiques significativement meilleures qu’un autre. Par contre, la variabilité du revenu du travail familial au sein des systèmes est très marquée. Cela signifie qu’au sein d’un même système de production, la diversité de combinaisons des moyens de production est élevée. Chaque ferme met au point une stratégie de maximisation de ses produits lorsqu’elle a des charges importantes ou de minimisation de ses coûts lorsque sa production est réduite.
Lors du webinaire organisé par le WWF pour mettre en débat l’étude, nous comprenons avec les agriculteurs présents, que chaque ferme est unique et que l’éleveur tente de s’adapter au mieux aux conditions d’exploitation – parfois très contraignantes – avec l’influence de sa propre sensibilité.
La conclusion de la présentation ouvrait également la question du niveau des revenus révélés. Près de 60% des éleveurs dégagent à peine ou moins de 1000 euros de revenu par mois entre 2016 et 2018. L’étude n’en commente pas le caractère rémunérateur ou non. Elle souligne cependant que les subventions de la Politique Agricole Commune notamment pour soutenir les élevages allaitants ne suffisent plus à compenser les revenus des agriculteurs.
A l’heure où le plan stratégique wallon pour la future PAC se construit avec les différentes parties prenantes, cette étude apporte une objectivation de la possibilité de concilier revenu de travail familial et préservation des ressources naturelles. Reste à faire en sorte que cette combinaison soit rémunératrice. La PAC, à elle seule, ne suffira sans doute pas. Il faut s’atteler dès maintenant à réfléchir la prochaine programmation pour que les agriculteurs puissent enfin vivre du fruit de leur travail tout en préservant les ressources qui leur permettent de le réaliser…
- Transition of food systems
- Données provenant de 290 exploitations entre 2014 et 2017. Les résultats sont également disponibles pour les systèmes de production bovins allaitants.
- Agrégation de neuf indicateurs basés sur cinq résultats environnementaux : utilisation de produits phytopharmaceutiques, émissions d’azote, impact sur la biodiversité, utilisation de soja, empreinte carbone. Plus le score est faible, plus l’impact environnemental est faible.
- Il s’agit en fait des élevages où les animaux sont essentiellement nourris à l’herbe. Les exploitations consacrent plus de 92% de leur surface dédié au cheptel laitier à de la prairie.