L’électrification des véhicules motorisés est, à l’heure actuelle, la seule technologie suffisamment mature pour être déployée à grande échelle en remplacement de la motorisation thermique. Mais à quelle échelle exactement ? Rien qu’en Europe, on compte environ 243 millions de voitures et 35 millions de véhicules commerciaux et de bus 1. Doit-on et peut-on tout électrifier ? Et qu’électrifier en priorité ? Petites réflexions et calculs de coin de table pour bien poser le problème.
En 2021, Climact réalisait, pour le Conseil fédéral du développement durable (CFDD), une très intéressante étude sur les besoins d’électrification de la mobilité en Belgique et sur les impacts qui y sont liés 2. Y sont notamment abordées les questions clés relatives aux besoins de mobilité et à la manière de les satisfaire, à la pression de l’électrification sur certaines ressources naturelles, aux droits humains des populations riveraines de sites miniers, …
Les différents scénarios étudiés impliquent une réduction substantielle de la flotte de véhicules motorisés, condition sine qua non d’une transition réellement soutenable. Ainsi, il est envisagé une réduction de l’ordre de 68% à 94% de la flotte de voitures entre l’année de référence 2015 et 2050 et une réduction de l’ordre de 70% de la flotte de camions sur la même période 3. Dans ses recommandations Climact suggère aussi d’adopter des objectifs de réduction de la masse et de la puissance des voitures. Canopea appuie bien évidemment très fortement ces recommandations, conformes au concept de LISA Car.
Complémentairement à ce qui précède, il peut être utile de chiffrer – même de manière approximative, en se limitant aux ordres de grandeur – ce qu’impliquerait une électrification complète des parcs de véhicules actuels.
En croisant les données de la Febiac et de Statbel, la flotte de véhicules en Belgique compte (en chiffres ronds et sans prendre en compte les motos, tracteurs agricoles, cyclomoteurs etc) :
- 5 900 000 voitures ;
- 16 500 autobus et autocars ;
- 860 000 utilitaires légers (< 3,5 tonnes) ;
- 95 000 utilitaires lourds (> 3,5 tonnes) ;
- 55 000 tracteurs routiers
Pour chaque catégorie de véhicule, le tableau ci-dessous présente la capacité moyenne de la batterie par véhicule (exprimée en kWh), son poids moyen (en considérant une densité énergétique de 200 Wh/kg), la capacité associée à l’électrification de tous les véhicules du parc actuel et le poids total de batteries que cela représenterait. Insistons sur le fait qu’il s’agit ici de fixer les ordres de grandeur.
Nous avons donc tenté d’identifier des moyennes plausibles sur base de l’offre actuelle de véhicules. Nous avons également :
- adopté une capacité de batterie modeste pour les voitures (50 kWh) par rapport aux tendances actuelles du marché ;
- considéré que les tracteurs routiers sont principalement utilisés pour des transports longues distances et doivent dès lors disposer de batteries de forte capacité.
L’électrification du seul parc de véhicules belge consommerait une bonne partie des capacités annuelles de production (en 2030) des gigafactories de batteries en projet en Europe.
Mais l’intérêt de ce petit tableau ne réside pas tant dans les chiffres en eux-mêmes que dans la comparaison des ordres de grandeur relatifs aux différentes catégories de véhicules :
- électrifier l’ensemble de la flotte d’autobus et autocars nécessite un peu plus de 4% des ressources nécessaires pour électrifier toutes les voitures du parc ;
- pour électrifier l’ensemble des véhicules utilitaires, il faudrait y consacrer environ 55% des ressources nécessaires pour électrifier toutes les voitures du parc ; ou, en divisant ces chiffres par deux : pour électrifier 50% des utilitaires, il faut autant de ressources que pour électrifier 25% des voitures.
Dit autrement (et tout en gardant à l’esprit qu’on se livre juste ici à un petit exercice de pensée) :
- ne vaut-il mieux pas diminuer de 4% la taille du parc de voitures et consacrer à l’électrification des autobus et des autocars les ressources qui auraient été nécessaires à l’électrification de ces 4% des voitures ?
- ne vaut-il pas mieux diminuer d’un quart la taille du parc de voitures et consacrer à l’électrification d’un parc d’utilitaires réduit de moitié les ressources qui auraient été nécessaires à l’électrification de ces 25% des voitures ?
Ces interrogations ne visent ici qu’à illustrer en quoi le débat de l’électrification est souvent mal posé (ce qui n’est pas le cas de l’étude précitée) : la question fondamentale est celle des choix de société. Décidons-nous collectivement (ou nous laissons-nous imposer par les constructeurs) de perpétuer le modèle actuel basé sur :
- un parc de voitures pléthorique : il y a actuellement 505 voitures pour 1 000 personnes en Belgique, ou encore 675 voitures par 1 000 personnes dans la tranche d’âge 20-84 ans ; ces voitures roulent en moyenne 4% du temps environ, et avec 1,35 personnes à bord 4 ;
- des voitures inutilement lourdes et puissantes par rapport aux besoins objectifs de mobilité auxquels elles sont censées répondre ;
- une production économique « éclatée » nécessitant de nombreux transports qui pourraient en grande partie être évités moyennant une relocalisation de la production ?
Peut-être vaudrait-il mieux collectivement reprendre en main nos destinées et respecter les recommandations qu’émettait l’IPBES en 2019 à l’occasion de la publication de son rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, soulignant l’impérieuse nécessité de mettre en place un « changement en profondeur », soit « une réorganisation en profondeur à l’échelle du système de l’ensemble des facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris des paradigmes, des objectifs et des valeurs. »
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Sobriété5
- ACEA. 2021. The automotive industry pocket guide 2021/2022, p. 44
- Climact. 2021. Etude sur les impacts de l’électrification de la mobilité et sur les impacts qui y sont liés – Rapport final –
- Voir l’annexe 2 de l’étude
- SPF Mobilité et Transports. 2019. Enquête Monitor sur la mobilité des Belges, p. 23
- Librement inspiré du poème « Liberté » de Paul Eluard