Ce 18 mai, le gouvernement approuvait le projet de loi du ministre des Finances « visant à rendre notre mobilité plus verte ». Ce projet comporte trois volets : le premier concerne les voitures de société (ou « voitures salaires »), le deuxième les bornes de rechargement pour véhicules électriques et le troisième le budget mobilité, alternative à la voiture salaire. C’est sur le premier volet qu’il nous semble utile de revenir, la modeste réforme envisagée évitant soigneusement de s’attaquer aux fondamentaux du système des voitures de société.
« Tous les nouveaux véhicules de société devront être neutres en carbone d’ici 2026 » : c’est à la concrétisation de cette disposition de l’accord de gouvernement que tend le projet de loi du ministre des Finances. L’approche choisie : renforcer l’attractivité des voitures électriques à batteries en modifiant les règles de déductibilité fiscale des voitures salaires. Dans un premier temps (2023 à 2028), la déductibilité des voitures à carburant fossile sera progressivement amenée à zéro. Dans un deuxième temps (2026 à 2031), la déductibilité des voitures électriques (qui est aujourd’hui de 100%) sera progressivement ramenée au niveau de celle actuellement appliquée aux voitures à carburant fossile (67,5%).
Si l’on peut se réjouir d’une mesure qui devrait accélérer la sortie des carburants fossiles en Belgique, ce qui est indispensable d’un point de vue climatique, on doit aussi s’inquiéter d’un projet de loi qui néglige deux problèmes fondamentaux : le maintien du système des voitures salaires d’une part et la dérive du marché automobile vers des véhicules toujours plus lourds et plus puissants d’autre part.
L’attractivité du système des voitures de société ne réside pas seulement dans les règles de déductibilité fiscale, mais aussi dans le calcul des cotisations ONSS dues par l’employeur, dans le calcul de l’avantage de toute nature (ATN) et dans le système annexe des cartes carburant.
Lorsqu’il octroie une voiture de société en guise de salaire alternatif, l’employeur ne verse à l’Office national de sécurité sociale (ONSS) qu’une « cotisation de solidarité » nettement plus faible que la cotisation sociale normalement due sur les salaires. Cette cotisation de solidarité est calculée sur base des émissions de CO2 des véhicules et un taux minimal s’applique aux voitures électriques. D’autre part, l’impôt sur le revenu que représente la voiture salaire se base sur l’avantage de toute nature (ATN) de la voiture, calculé en fonction de son coût catalogue et de ses émissions de CO2. Ici encore, les voitures électriques sont avantagées. Pour l’année 2019, si toutes les voitures salaires (majoritairement diesel) avaient été électriques, cela se serait traduit par une diminution d’environ 120 millions d’euros des cotisations ONSS et d’environ 340 millions de l’impôt sur les revenus (valeurs indicatives, dépendantes des hypothèses relatives au parc de voitures de société et à leur valeur catalogue moyenne). Par ailleurs, aux cartes carburant actuelles succéderont vraisemblablement des « cartes de recharges » permettant au bénéficiaire d’une voiture salaire de rouler sans bourse délier.
Deuxième problème négligé par le projet de loi : l’évolution de l’offre automobile vers des véhicules toujours plus lourds et plus puissants. Cette tendance, que la généralisation des véhicules de type SUV n’a fait que confirmer, risque également d’être renforcée par l’électrification. C’est en effet « par le haut » (par les segments supérieurs) que, à quelques exceptions près, les constructeurs électrifient leurs véhicules. Comme Ola Källenius, CEO de Daimler, le déclarait à la presse début avril, « La logique reste la même : le segment supérieur promet la meilleure marge bénéficiaire ». Or, plus une voiture est lourde et puissante, plus son impact environnemental est élevé (à la fabrication comme à l’utilisation), de même que son impact sur la convivialité de l’espace public et sur la sécurité routière. Le levier fiscal est le seul outil efficace dont disposent les pouvoirs publics pour contrer cette évolution. Or, le projet de loi entend favoriser toutes les voitures électriques et ne fait donc aucune différence entre une Porsche Taycan Turbo S (2.340 kg, 761 ch (ou 560 kW), 0 à 100 km/h en 2,8 s, vitesse maximale de 250 km/h, batteries de 93,4 kWh) et une Citroen C-Zero (1.090 kg, 67 ch (49 kW), 0 à 100 km/h en 15,9 s, vitesse max. 130 km/h, batteries de 17 kWh).
Attractivité accrue du système des voitures de société et dès lors accroissement du parc automobile belge, augmentation du coût pour la sécurité sociale et le budget fédéral, passivité face à l’augmentation de la masse et de la puissance des voitures : le projet de loi approuvé par le Gouvernement n’est pas exempt de points faibles. Malgré les appels répétés à une réforme en profondeur du système des voitures de société (appels lancés par la société civile, mais également par le Conseil supérieur des Finances, l’OCDE, la Commission européenne, …), le tabou politique demeure. Repeint en vert, certes, mais il demeure.
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