Le 22 septembre 2022, à l’occasion de la semaine de la mobilité, la FEBIAC s’adressait aux décideurs politiques belges par voie de presse. Le lobby de l’automobile affirmait sans rire : « le politique s’acharne sur l’automobile comme bouc émissaire symbolique » et « Nous sommes chef de file dans la lutte contre le changement climatique ». Rien que ça… Ces déclarations nous ont donné envie de chiffrer les performances de ces chefs de file injustement méconnus.
Notre démarche visait plus spécifiquement à tester les mérites respectifs de différents scénarios d’évolution du parc automobile en Belgique. Notre scénario de référence inclut les législations actuelles qui balisent les évolutions du marché automobile en Europe et en Belgique jusque 2030. Nos scénarios alternatifs sont des scénarios « de rupture » par rapport aux tendances observées au cours des dernières années.
Pour réaliser une modélisation des émissions futures, il faut d’abord parvenir à modéliser le présent. C’est ce que nous avons fait dans un premier temps, en tenant compte :
- de la pyramide des âges des voitures (nous avons volontairement limité la pyramide aux voitures de 0 à 20 ans d’âge – figure 1) ;
- des émissions de CO2 par année de première immatriculation en augmentant de 25% les émissions officielles des voitures, lesquelles sont notoirement sous-évaluées (25% correspond à l’écart moyen entre les émissions NEDC (anciennes procédures de test) et WLTP (nouvelles procédures) ;
- du kilométrage moyen des voitures belges ; valeur adoptée : 14 770 km (arrondi à 14 800), soit le kilométrage moyen de 2017, dernière année pour laquelle un rapport complet a été publié par l’administration fédérale.
Résultat de nos calculs : les voitures belges ont émis 14 millions de tonnes de CO2 en 2019. La précision du résultat est tout à fait satisfaisante : celui-ci est juste inférieur de 5% aux émissions des inventaires nationaux (14,8 MtCO2 en considérant que 60% des émissions du secteur routier sont imputables aux voitures). Le modèle peut donc être utilisé pour estimer les émissions futures.
Dans un deuxième temps, nous avons calculé les émissions du parc automobile belge en 2030, en tenant compte :
- de la législation européenne qui impose des objectifs de réduction des émissions aux constructeurs ; la révision en cours confirmera, semble-t-il, les objectifs de -15% sur la période 2021-2025 et -55%sur 2021-2030 ; les réductions (c’est ce qui a été observé ces dernières années) sont toujours plus lentes au début de la période et plus rapides à la fin : ceci a également été pris en compte ;
- des effets de la réforme fiscale des voitures de société, laquelle devrait favoriser l’immatriculation des voitures « full électrique » (BEV pour battery electric vehicles) plutôt que d’hybrides rechargeables (PHEV pour plug-in hybrid vehicles) ;
- de la croissance du parc automobile, laquelle a été de + 1,2 %/an en moyenne au cours des 20 dernières années ; le même rythme de croissance a été adopté pour les 10 prochaines années.
Sous ces hypothèses (qui constituent notre scénario de référence ou BAU pour business as usual), le parc automobile belge devrait émettre 10,4 MtCO2 en 2030 (figure 2), soit une réduction de 26% par rapport à 2019. Il est utile de remarquer au passage que les émissions en 2019 étaient de l’ordre de celles observées au début des années 2000… et 25% supérieures à celles de l’année 1990 ! Le scénario BAU nous permettrait donc, en 2030, de retrouver le niveau de 1990, soit 40 ans plus tôt… Il resterait alors 20 ans (horizon 2050) pour réaliser l’effort colossal nécessaire pour décaborner complètement le secteur…
Il convient ici de remarquer que le scénario BAU se base sur les objectifs de réduction des émissions européens, lesquels sont établis en considérant que les émissions de CO2 des voitures électriques (BEV) sont nulles et que celles des voitures électriques hybrides rechargeables (PHEV) sont très faibles. En tenant compte des émissions liées à la mise à disposition de l’électricité nécessaire pour recharger les batteries de ces véhicules, les émissions en 2030 sont de l’ordre de 11,4 MtCO2, soit une diminution de l’ordre de 18% seulement par rapport à 2019 (au lieu de 26%). Les calculs suivants ont néanmoins été menés en cohérence avec le scénario BAU et la manière dont sont actuellement comptabilisées les émissions des voitures en Europe, aussi décevante que cette approche soit-elle.
Troisième temps : au lieu de la croissance de 1,2%/an observée sur les 20 dernières années, nous avons modélisé une décroissance du parc automobile (c’est-à-dire une diminution du nombre de voitures en circulation) de 1,2% par an. Résultat impressionnant : les émissions chutent à 8,2 MtCO2, soit une réduction de 42% par rapport à 2019.
Dans un quatrième temps, nous avons cette fois modélisé une diminution de la masse des voitures neuves (ou de leur poids en langage courant). Pour déterminer dans quelle mesure une diminution de la masse induit une diminution des émissions, nous avons utilisé un échantillon de 140 voitures représentatif du marché automobile européen (figure 3). À un accroissement de 100 kg correspond une augmentation des émissions d’un peu plus de 8 gCO2/km. Avec une hypothèse modeste de 5% de réduction par an entre 2023 et 2030, l’effet est saisissant : les émissions en 2030 chutent à 8,8 MtCO2, soit près de 37% de réduction par rapport à 2019. Ce qui prouve encore une fois le bienfondé du concept LISA Car (pour light and safe car : voiture légère et sûre) développé par Canopea et l’asbl Parents d’Enfants Victimes de la Route.
Enfin, dans un cinquième temps, nous avons modélisé les effets combinés d’une diminution de la taille du parc automobile et de la masse des voitures. Et l’effet nous a laissés rêveurs : 50% de réduction des émissions de CO2 par rapport à 2019. On double la performance par rapport au scénario où l’on se contente de laisser faire les « chefs de file » (les constructeurs). Pas étonnant : ils se contentent, eux, de suivre la législation européenne. Législation dont leur travail de lobby a raboté les ambitions…
Canopea ne suggère pas aux décideurs de « s’acharner sur l’automobile » pour reprendre l’expression de la FEBIAC. Mais simplement d’utiliser les outils dont ils disposent (notamment la fiscalité) pour ramener les constructeurs à la raison, eux qui produisent des voitures toujours plus lourdes et plus puissantes, donc plus consommatrices d’énergie et plus polluantes – quelle que soit leur motorisation. Hélas, les derniers échos de la réforme de la fiscalité en Wallonie (qui figure dans la déclaration de politique régionales de 2019) ne laissent pas beaucoup de place à l’espoir pour cette législature…
« Nous sommes chefs de file de la lutte contre le changement climatique » affirmait la FEBIAC en septembre 2022. Certes, les constructeurs d’automobiles sont sans doute chefs d’une file – et même de plusieurs : la file de la triche (voir le dieselgate), la file du lobby (avec une puissance de frappe impressionnante), la file de l’arrogance, la file de la dérive écologiquement irresponsable du marché (accroissement de la masse et de la puissance des voitures)… mais assurément pas celle de la lutte contre les changements climatiques !
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