« Que faut-il penser des éco-quartiers ? » Cette question est souvent posée aux chargés de mission en aménagement du territoire de la Fédération IEW. Nous n’avons pas de réponse toute faite, mais plutôt un faisceau de réflexions anciennes et récentes, qui évoluent au gré de conversations à bâtons rompus.
Immanquablement, le propos revient sur la question de base : qu’est-ce qu’un éco-quartier ? Les temps sont mûrs, en ce début d’automne, pour tenter de construire une définition.
« Quartier vert », « éco-quartier », « écoquartier », « quartier durable », à force d’entendre ces expressions, vos oreilles chauffent. Et si vous demandez à vos interlocuteurs de les distinguer en quelques mots, les langues se lient. « C’est un concept fantastique mais trop récent, on manque de recul ! » diront les uns ; « Foutaises et charabia de promoteurs ! » rétorquent les autres.
Wikipédia va nous en apprendre plus sur la fusion entre « quartier » et « écologie ». D’emblée, une bannière rose avertit les internautes que la définition du mot « écoquartier » (sans trait d’union) ne cite pas suffisamment ses sources ; l’article, dûment équipé de notes de bas de page, base son raisonnement sur les réflexions ayant cours en France. Qu’à cela ne tienne, on vient pour s’instruire, le sens critique en bandoulière !
Trois paramètres ou critères essentiels se dessinent :
- Dans un éco-quartier, les différents enjeux environnementaux sont conciliés de manière à réduire l’impact du bâti sur la nature ;
- Dans un éco-quartier, les habitants sont impliqués dès la conception du projet. La concertation est au coeur du processus, fidèle en cela aux principes de développement durable.
- Dans un éco-quartier, l’équilibre du projet repose sur la mixité socio-économique, culturelle et générationnelle.
Au départ des démarches concrètes exposées dans l’article, un plan d’action peut être extrapolé comme suit :
- Maîtrise d’oeuvre pluridisciplinaire par un regroupement d’habitants, architectes, urbanistes, consultants en environnement, mais aussi promoteurs, investisseurs, sociétés de logement social et gestionnaires de réseaux ;
- Partenaires particulièrement ouverts à la protection de l’environnement et à la concertation ;
- Comité fonctionnant comme une équipe à dimensions variables, capable d’articuler les enjeux entre eux ;
- Gestion des déchets de chantier, réutilisation d’éléments architecturaux et de matériaux ;
- Consommations énergétiques au m² aussi faibles que possible pour tous les bâtiments ;
- Recours aux énergies renouvelables ;
- Conception des voiries, infrastructures et accès aux bâtiments en tenant compte du confort et de la sécurité des personnes à mobilité réduite ;
- Gestion des déplacements avec limitation de l’usage de la voiture privée ;
- Mise sur pied de covoiturages ;
- Incitation à l’utilisation des transports en commun, du vélo, de la marche à pied, par des aménagements lisibles de tous et des trajets courts ;
- Livraisons et regroupements d’achats ;
- Services de prêt : outillage, équipement, livres, vêtements de sport, jeux de société ;
- Limitation de la production de déchets, et recyclage ;
- Réduction de la consommation d’eau, notamment par la récupération des eaux pluviales et le circuit fermé pour le nettoyage des espaces publics ou des véhicules ;
- Tri sélectif et compostage des déchets verts à l’aide d’infrastructures collectives ;
- Mise à disposition d’espaces de plein-air susceptibles d’être cultivés en potagers ;
- Accès facile à des activités sportives et culturelles ;
- Lieux de commerce et de services multifonctionnels ;
- Imbrication du culturel et de la convivialité dans des lieux ouverts à tous ;
- Parrainage des nouveaux arrivants pour leur permettre une intégration en adéquation avec le fonctionnement du quartier ;
- Projet de vie qui met en évidence le lien entre besoins individuels et collectifs ;
- Mesures à prendre ou à répandre pour permettre l’épanouissement de la flore et de la faune locales, et favoriser la biodiversité.
L’avantage de ces démarches est qu’elles remplissent souvent plus d’un de trois critères ou paramètres. Or faire d’une pierre deux coups, n’est-ce pas jouer sur l’économie de moyens ? Une doublement bonne manière d’être durable, en somme…
D’après le paragraphe consacré aux exemples, on peut visiter pareilles perles « dans de grandes métropoles européennes comme : Stockholm (Hammarby Sjöstad), Hanovre, Fribourg-en-Brisgau (le quartier Vauban), Malmö, Londres (le quartier BedZED), Dongtan (Chine), Eva Lanxmeer (Pays-Bas). »
Eh oui, vous avez bien lu : la Chine se trouve en Europe, et Malmö est une métropole ! Voilà un beau mélange dont les Snuls se délecteraient… Autant compulser une publication plus rigoureuse, afin de croiser les sources. La revue Urbanisme gère mieux les parenthèses et la géographie mondiale, cependant sa liste est fort semblable.
Alors faut-il vraiment prendre le bac et franchir la Baltique pour aller tâter de l’éco-quartier ? Faut-il pagayer jusqu’en Extrême-Orient ? Les éco-quartiers néerlandais sont moins éloignés, mais peut-être un peu trop courus, comme le quartier Vauban, ou encore la petite ville de Beckerich au Grand-Duché de Luxembourg.
Le mieux serait d’avoir sous le coude quelques propositions de visites dans les provinces belges… Cap sur le site de notre association membre, Ecoconso. Force est de constater que l’accent y est mis sur la manière de construire une maison individuelle saine, économique en moyens et en consommation d’énergie, pas sur des quartiers d’habitat mettant en oeuvre les démarches concrètes énoncées ci-dessus.
De même, le cluster éco-construction, qui rassemble de manière virtuelle et réelle les acteurs wallons du secteur ; il joue la carte d’une utilisation plus parcimonieuse des ressources, mais il laisse de côté la principale d’entre elles : le sol.
La dimension de responsabilité sociale n’est abordée qu’indirectement par ce cluster dynamique et par cette association, dans la mesure où faire changer les habitudes de consommation individuelle constitue un des éléments du développement durable.
Et si la logique était prise à rebrousse-poil ?
Foin de lieux déjà labellisés ici ou ailleurs, repérons nous-mêmes les éco-quartiers wallons ! Il faut d’abord éliminer de la liste les réalisations et les projets qui ne méritent pas le nom d’éco-quartier, c’est-à-dire, ceux qui n’offrent pas la combinaison des trois critères : impact réduit sur la nature, implication des habitants, mixité fonctionnelle et sociale.
Par exemple, des projets de construction où les logements sont dotés des meilleures techniques disponibles en matière d’isolation, mais où le moindre des déplacements sera confié à la voiture.
De même, on se méfiera du remplissage effréné des derniers terrains encore vierges dans des noyaux densément urbanisés : vivre, c’est aussi respirer, y compris pour la terre et les riverains. Il y a d’ailleurs assez de chancres à recycler pour éviter d’aplanir les terrils ou de mettre des barres d’appartements en bord de cours d’eau.
Quant à la notion de concertation, si elle n’a pas été inclue dans la réflexion originelle et n’est pas prévue au programme, elle permet d’éliminer d’office bien des éco-quartiers « de façade ».
Enfin, doivent être aussi évacués les projets faisant de la mixité sociale, culturelle et générationnelle un argument de vente bientôt démenti par le prix des logements, leur configuration et l’absence d’une structure de services.
Au crible d’un tel tri, la combinaison gagnante s’avère encore très discrète en Wallonie. Dès lors, pourquoi ne pas plutôt tenter de réduire l’impact environnemental de quartiers existants, déjà construits et habités, où quelques unes des démarches concrètes sont déjà en cours ?
On ouvrira ainsi la liste à des morceaux de villes ou de bourgs, à des coeurs de villages, qui sont autant à la recherche de lien humain que d’économies d’énergie. Aujourd’hui, ils n’ont pas d’étiquette verte, mais qui sait s’ils ne seraient pas susceptibles de la recevoir plutôt que tel ou tel projet ronflant, pétaradant, et peu parcimonieux ?
Sous son intitulé « Critiques », l’article de Wikipedia ne dit pas autre chose : « La notion d’éco-quartier ne prend son sens que lorsqu’il est question d’urbaniser ou de modifier l’urbanisation d’un quartier au sein d’une ville. A ce titre il est étonnant de voir apparaître des projets d’éco-quartier ruraux (…). Des voix s’élèvent aussi pour dénoncer la récupération du concept par des « promoteurs architectes » dont les projets coûteux ne respectent qu’en partie le principe de la notion d’éco-quartier et peuvent même à terme contribuer à augmenter l’empreinte écologique (déplacements non raisonnés, commerces de proximité non prévus). Par ailleurs la création de ces quartiers nouveaux ne doit pas masquer la nécessité de rénover nos villes entièrement et surtout de faire évoluer les comportements des habitants en favorisant les échanges et la concertation (…) dans les quartiers existants. »
Il ne s’agit pas de satisfaire à une série de caractéristiques quitte à se permettre d’en oublier quelques unes en route ; il s’agit de les transcender. Pour que la dimension de parcimonie soit pleinement efficace, le concept d’éco-quartier doit incorporer la dimension de la connectivité.
Un éco-quartier doit fonctionner avec la ville ou le village qui l’entoure, lui ajouter du sens, lui ajouter de la qualité de vie. À l’inverse de l’habitat excentré et éparpillé, le propre de l’éco-quartier est de donner, non de prendre. Reconstruire la ville sur la ville trouve ici de quoi humaniser sa formule : l’éco-quartier ne s’assied pas sur les constructions du passé, il fait avec.
4031 Angleur, l’éco-quartier qui s’ignore
Je vous propose, pour pousser le raisonnement jusqu’au bout, de considérer quelques instants Angleur comme un éco-quartier. Cette ancienne commune de Liège, au sud de la ville, ne prétend à rien de la sorte. Cependant, elle coche beaucoup de bonnes cases, sans le faire exprès. À croire qu’elle a été conçue par un bureau d’étude agréé qui aurait oublié le volet éco-construction !
Coincé entre la route du Condroz, la colline du Sart-Tilman, les voies ferrées et l’échangeur ferroviaire de Garde-Dieu, le quartier de cet exercice donne accès à la vallée verdoyante de l’Ourthe, ainsi qu’à l’Europe méridionale via l’E25.
Il rassemble dans son parc immobilier à la fois varié et parfois un peu vieillot une population nombreuse, de toutes origines, de tous âges, et aux moyens souvent modestes.
Ses rues alternent les commerces et les logements ; presque tous les magasins sont surmontés d’étages habités. On peut acheter à manger et aller boire un verre sans quitter le quartier. Il y a des squares et jardins publics au rythme d’un tous les 300 mètres, mieux qu’à Londres !
Contrairement à Londres, les pizzas sont au feu de bois, la crème glacée est artisanale et familiale. Le Cimetière de la Diguette, qui compte parmi les plus romantiques au même titre que le Père Lachaise ou le Dieweg, attire nettement moins de visiteurs, et pourtant…
Trois fois par heure, un train s’arrête à la gare avant de rejoindre les Guillemins en trois ou quatre minutes. En amont, le réseau ferré bifurque pour donner accès soit à l’Allemagne, soit au Luxembourg. Plusieurs bus relient Angleur aux points stratégiques de Liège, ou s’y arrêtent avant de rejoindre la périphérie puis les campagnes proches.
Des trottoirs, tracés jusque dans les endroits les plus incongrus parce qu’officiellement dédiés à la voiture, permettent au piéton volontaire d’aller partout, y compris jusqu’au centre commercial Belle-Ile. Dans la direction opposée, il peut rejoindre les quais de Meuse en traversant les voies rapides et le quartier voisin, Kinkempois, puis poursuivre sa promenade industrielle vers Renory, Ougrée, Seraing.
On trouve dans un mouchoir de poche des bâtiments du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle, juxtaposés à des maisons « bel-étage » des années soixante. Ainsi la maison des jeunes, qui appelle de tous ses voeux un renfort d’éducateurs et une bonne restauration, n’est autre que la ferme de la Paix, érigée à l’emplacement de la ferme où avait été signée entre le peuple et les patriciens la Paix de 1313.
Juste en face, le Château Nagelmackers, tout récemment inauguré, accueille, d’une part, des résidents dans des logements sociaux ouverts sur une vaste cour intérieure, et d’autre part, une douzaine d’entreprises dans le corps de logis, dissimulé derrière un rideau d’arbres et des jeux d’enfants sur la photo ci-dessous.
Les chantiers à venir semblent un peu moins lourds, maintenant que l’épine Nagelmackers a été retirée du pied de la Ville de Liège. Hier, un fantôme dépenaillé gâchait le paysage et faisait peur aux passants, aujourd’hui l’Espace Entreprises rayonne bien au-delà du quartier. Il lui rend confiance quant à ses capacités d’être à nouveau un bassin d’emplois, ce qui serait tout bénéfice y compris dans la logique des trois critères définissant un éco-quartier.
En matière d’accessibilité, de valeur ajoutée, de verdure, de mélange des fonctions et des genres, Angleur a réussi un très beau coup en toute innocence. Et votre quartier à vous ?
Des extraits de cette nIEWs ont été repris dans l’article de Julie Gillet, Le boom des éco-quartiers, publié sur le site de la libre.
Extrait de nIEWs 81, (14 au 28 septembre 2010),
La Lettre d’information de la Fédération.
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Credit photographique : fejas – Fotolia.com pour le logo de l’article et Noé Lecoq pour la photo d’Angleur.