Nés au siècle d’une rationalité qui voudrait que l’on ne croie que ce que l’on voit, de nombreux esprits refusent d’admettre que la démesure des activités humaines menace l’équilibre planétaire. A la décharge de ces Saint-Thomas, il est vrai qu’embrasser la réalité et la complexité de notre Terre dépasse de loin les seules perceptions individuelles…
Nous avons besoin de preuves, de démonstrations, de construire des vérités. Le film d’Al Gore ne s’appelle-t-il pas « Une Vérité qui dérange » ? Est-il autre chose qu’une démonstration, sur base d’éléments factuels : des concentrations de CO2 et des températures. Températures actuelles mesurées dans l’atmosphère et températures « passées » mesurées en remontant le plus loin possible dans le temps ?
Et ce n’est pas parce que nous prenons conscience que le réchauffement de la planète est d’origine anthropique que nous avons d’emblée conscience des limites du système qui nous héberge. Système qui s’adaptera, lui, nous n’en doutons pas, mais à quelles conditions pour la pérennité de la vie humaine…
En septembre dernier, 29 scientifiques issus de 27 universités et centres de recherche en Europe et aux Etats-Unis publiaient dans Nature, la célèbre revue scientifique internationale, un article titré « A safe operating space for humanity ». Leur travail s’attache à objectiver la question des limites de notre planète pour assurer le maintien d’un cadre de vie relativement stable aux humains. Il faut savoir en effet que l’humanité et son développement sont liés à une période inhabituellement stable dans l’histoire de notre planète : l’Holocène, qui dure depuis 10.000 ans. Mais, 150 ans d’activités industrielles intenses seraient venus à bout de la chose: une nouvelle ère s’ouvre à nous, dont la principale caractéristique est que les activités humaines sont devenues les principales causes des modifications environnementales, au-delà des limites propres à l’Holocène. Ces dépassements nous exposent donc à des changements environnementaux abrupts auxquels il sera difficile de faire face.
La démarche des scientifiques consiste à chiffrer les limites compatibles avec le maintien des conditions de l’Holocène. Ces limites chiffrées ont pour intérêt de donner des indicateurs clairs et des objectifs à atteindre : rester en dessous de la limite ou, pour celles que nous avons déjà dépassées, revenir sous la limite.
Concrètement : 9 processus clés pour la stabilité planétaire sont identifiés :
Réchauffement du climat
Perte de biodiversité
Cycle de l’azote
Cycle du phosphore
Amincissement de la couche d’ozone
Acidifcation des océans
Besoins en eau douce
Modifications d’affectation du sol
Dépôts atmosphériques
Pollution chimique
Et les premiers constats sont pour le moins inquiétants: nous avons déjà dépassé les limites pour les trois premiers d’entre eux.
Les changements climatiques sont aujourd’hui, à juste titre, l’objet de toutes les attentions. Si cette focalisation est nécessaire et importante, elle ne doit pas occulter les deux autres processus – la perte de biodiversité et le cycle de l’azote – qui sont tout aussi cruciaux pour préserver la capacité de résilience du système planétaire.
En ce qui concerne la biodiversité, la vitesse d’extinction annuelle d’espèces est aujourd’hui de 100 à 1000 supérieure à la limite identifiée par les chercheurs. L’idée n’est donc même pas de dire « stoppons l’érosion de la biodiversité », la proposition est : si nous voulons que la Terre reste viable pour les Hommes, nous ne devrions pas dépasser une valeur de 10 là où elle varie naturellement de 0,1 à 1 espèce sur 1 million qui disparaît par an. Au rythme actuel, plus de 30% des espèces de mammifères, oiseaux et amphibiens seront menacés d’extinction au cours du XXIème siècle. Ces disparitions sont typiquement hors du champ de perception commun : nous n’avons même pas idée du nombre d’espèces qui vivent dans les écosystèmes que nous côtoyons quotidiennement. Ne pas prendre au sérieux ce problème nous sera fatal. Et tout indique pour le moment que les éventuelles solutions apportées ne portent pas leurs fruits : en Wallonie, selon les groupes d’espèces, de 40 à 83% des espèces présentent des populations en déclin[[http://www.biodiv.be/biodiversity/statustrends]].
Le cycle de l’azote semble encore un peu plus intangible, mais, somme toute, il ne l’est pas plus que les concentrations de CO2 de l’atmosphère. L’azote (N) est un des éléments essentiels des processus biologiques. Il circule sous différentes formes de l’atmosphère aux organismes, au sol, etc. L’agriculture que nous pratiquons a complètement modifié le cycle de l’azote, notamment en produisant des engrais à partir de l’azote atmosphérique. Les quantités produites en un an sont telles qu’elles dépassent l’ensemble des transformations naturelles sur toute la planète dans tous les écosystèmes. Actuellement les activités humaines extraient de l’atmosphère 121 millions de tonnes de N2 chaque année. La limite proposée est de 35.
Les objectifs à atteindre sont clairs et pas question de ne viser que l’un des secteurs. En une phrase, les 29 scientifiques remettent les pendules à l’heure : « Nous n’avons pas le luxe de concentrer nos efforts sur un des processus en l’isolant des autres. Ils sont étroitement liés les uns aux autres. »
La démarche entamée ici est encore incomplète puisque les experts manquent de données. Aucune limite n’est encore identifiée par exemple pour la question de la pollution chimique. Et « ça craint » (comme on dit de plus en plus couramment), sachant que nous dispersons dans notre environnement, au bas mot, des dizaines de milliers de molécules de synthèse différentes.
Nous avons dépassé les limites.
Revenir sous les seuils identifiés par le panel d’experts est une priorité absolue. Et, que vous le vouliez ou non, la limite du monde doit se traduire par une limite dans nos activités.
Hé non, tout n’est pas possible…
Extrait de nIEWs (n° 63, du 29/10 au 11/11),
la lettre d’informations de la Fédération.
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