A l’heure où un débat sur la privatisation de l’exploitation des lignes de transport public s’amorce sur fond des grèves sauvages qui ont récemment perturbé le réseau liégeois, n’est-il pas urgent pour le Groupe TEC de prouver son expertise en matière de définition et de gestion d’une offre de transport en commun ?
Exploiter des lignes de bus est une chose, définir une offre de transport en commun en est une autre.
En Wallonie, ces deux missions sont confiées à la Société Régionale Wallonne du Transport (SRWT) et aux 5 sociétés d’exploitation TEC. Ce fonctionnement vient d’être confirmé et arrêté par la signature d’un contrat de service public entre la Région Wallonne et le Groupe TEC le 18 novembre dernier. La tournure aurait pu être tout autre. En effet, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne considèrent que l’introduction d’une concurrence régulée entre les opérateurs devrait permettre de rendre les services plus attrayants, plus innovants et moins chers. Le règlement européen 1370/2004 invite dès lors les États membres à définir des contrats de service public qui peuvent être attribués par mise en concurrence. Le règlement permet cependant aux autorités compétentes de faire le choix d’une attribution directe à un opérateur interne. Telle fut la décision des autorités wallonnes en mars 2012. Les TEC sont donc normalement à l’abri d’une ouverture à la concurrence jusqu’en 2017.
Il faut cependant distinguer mise en concurrence et sous-traitance. Effectivement, la sous-traitance est déjà d’application pour l’exploitation de nombreuses lignes du Groupe TEC : environ 25% de l’offre kilométrique régionale de transport régulier, mais jusqu’à 60% localement comme en Province du Luxembourg, et si l’on considère aussi les autres services (transport scolaire, PMR), le volume sous-traité de l’offre régionale atteindrait 48%. Le contrat de service public du Groupe TEC prévoit que celui-ci maintienne la sous-traitance pour un minimum de 29% de son offre totale régulière mais aussi que cette sous-traitance ne dépasse pas le seuil de 50% de l’offre totale du Groupe, le tout pour être en conformité avec le règlement européen. Selon les interprétations[[Le règlement européen précise que : « si la sous-traitance […] est envisagée, l’opérateur interne est tenu d’assurer lui-même la majeure partie du service public de transport de voyageurs » ; par ailleurs, le texte définit « les transports publics de voyageurs comme les services de transport de voyageurs d’intérêt économique général offerts au public sans discrimination et en permanence » ; plus loin, l’obligation de service public est définie comme « l’exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions sans contrepartie ». Dans le contrat de service public signé, les obligations de service public attribuées au TEC comprennent les services de transport régulier, le transport scolaire, le transport des PMR, le transport alternatif et le management de la mobilité ; mais parmi ces services seul le transport régulier devrait-il t être considéré comme « offert au public sans discrimination et en permanence » ?]], il existerait ou non des possibilités pour augmenter encore le volume de l’offre kilométrique sous-traitée dès à présent.
La sous-traitance telle que pratiquée jusqu’à présent en Wallonie se traduit par la délégation à un opérateur privé de la mise en œuvre d’un ordre de marche. Les horaires et les itinéraires des lignes à exploiter restent définis par le TEC. C’est au TEC qu’incombe aussi la responsabilité d’assurer une cohérence de l’offre en termes de correspondance entre les lignes et de complémentarité des dessertes.
Aujourd’hui, certains remettent en cause la capacité du TEC à assurer efficacement la première des deux missions : l’exploitation des lignes. Les suspicions viennent du constat que les lignes exploitées par des opérateurs privés (des loueurs, dans le jargon du secteur) sont très rarement perturbées par des actions sociales contrairement aux lignes exploitées par le TEC, et plus particulièrement dans les régions liégeoise et carolo. C’est probablement aux instances syndicales et aux directions de ces TEC plus concernés de réfléchir à la manière de faire face à cette problématique. D’autant plus que dans le contrat de service public adopté le mois dernier, le TEC est tenu d’assurer la continuité du service public de transport, sauf en cas de force majeure. Et les grèves, avec ou sans préavis, ne sont pas reprises comme des cas de forces majeures. Il est même prévu des pénalités[[Le contrat de service public précise que : « En cas d’interruption de service […], le Groupe TEC inscrit en dette vis-à-vis de la Région un montant correspondant à l’économie nette réalisée en raison de l’interruption, majorée de 10%. Cette majoration est portée à 20%, en cas de grève non préavisée. Par ailleurs, le TEC est tenu à rembourser ayx clients abonnés impactés par l’interruption de service une compensation.]] en cas d’interruption des services.
Mais demain n’est-ce pas la capacité du Groupe TEC à assurer efficacement sa deuxième mission qui pourrait être interrogée ?
Jusqu’à présent, la Région wallonne a laissé beaucoup de latitude au Groupe TEC pour la définition de l’offre de transport, qui implique pourtant des choix éminemment politiques. C’est loin d’être le cas dans d’autres pays. En France, par exemple, les autorités organisatrices de transport définissent assez précisément l’offre qui devra être exploitée par un opérateur: fréquence, amplitude horaire, offre du WE, et même jusqu’au type de véhicule. Le règlement européen invite effectivement les autorités à définir le plus précisément possible leurs attentes en matière de qualité de l’offre. Mais sans doute nos responsables politiques wallons sont-ils satisfaits de la situation. Cela leur permet de pouvoir encore crier au scandale quand le TEC envisage de rationaliser l’offre kilométrique dans leur zone géographique d’origine, sans en adosser la responsabilité. De mon point de vue, le politique devrait davantage se mouiller en matière de définition de l’offre. Le contrat de service public fraîchement signé prévoit que le Groupe TEC réalise un plan stratégique global de développement du réseau à moyen terme à présenter avant le 30/09/2014 pour prise d’acte par le Gouvernement. Une adoption politique aurait été plus forte pour encourager et légitimer les modifications qui doivent être apporté à l’offre de transport public actuelle pour la rendre plus attractive. Le contrat de service public prévoit que seules les modifications substantielles de l’offre feront l’objet d’une approbation gouvernementale. Qu’à cela ne tienne ! Le contrat de service public a le grand mérite d’au moins prévoir et d’imposer la réalisation d’un tel plan, et au préalable celui d’un plan de réseau « mobilité de personnes », sorte de cadastre de l’offre existante. Ce n’était pas le cas des contrats de gestion précédents. Une belle avancée donc.
Le groupe TEC devrait dès lors saisir cette opportunité pour développer et prouver son expertise et son dynamisme en matière de définition d’offre de transport public : c’est-à-dire élaborer une vision globale et évolutive, issue d’une analyse fine des besoins et de la demande potentielle, pour parvenir à une concrétisation praticable sous forme de schémas de lignes, de tableaux horaires et jusqu’aux roulements des chauffeurs et du matériel roulant. Actuellement cette expertise est confinée au sein du Groupe TEC mais demain, si ce dernier est défaillant sur cette mission, ne pourrait-elle pas être confiée à des acteurs extérieurs au Groupe ? Pour avoir mis un pied dans la maison, je sais que beaucoup au sein du Groupe TEC œuvrent depuis longtemps pour faire évoluer et améliorer l’offre de transport, mais ils manquent trop souvent d’un soutien fort de leur direction dans cette mission ; j’espère que cet article permettra de réveiller certaines consciences… à temps.
Ce contrat de service public 2013-2017 offre au Groupe TEC de nouvelles perspectives (grâce à un financement plus adéquat : lire ici) et lui donne l’occasion de prouver qu’il est un acteur incontournable pour le développement du transport en commun et de l’intermodalité en Wallonie.
A côté des plans évoqués plus haut, le contrat de service public prévoit d’autres outils pour encourager le TEC à améliorer son offre de transport. Prenons l’exemple des objectifs en matière de qualité du service qui intègrent mieux les attentes premières de la clientèle, à savoir la disponibilité du service (fréquence, amplitude horaire), le respect des horaires ou encore les places assises par km ; en plus des critères habituels de la propreté ou de l’accueil aux voyageurs par exemple. Dommage cependant que ces nouveaux objectifs ne soient pas repris dans les liste d’indicateurs de performance concernant la qualité du service.
Au-delà de ces éléments qui concernent les core-business des TEC, à savoir, faire circuler des bus, le contrat de service public confirme et amplifie la mission de manager de la mobilité du Groupe TEC. Il est par exemple demandé au TEC de s’investir plus concrètement dans la mise en œuvre de la politique cyclable wallonne. Mais il est aussi prévu que la Région wallonne implique davantage le TEC, par exemple en le consultant systématiquement, dans le cadre de projets qui peuvent avoir des répercussions sur le transport en commun. C’est une première étape vers une politique mieux intégrée entre aménagement du territoire et mobilité. Avec cette mission de manager de la mobilité, le TEC garde la possibilité développer et d’exploiter des solutions de transport alternatif tel les transports à la demande, les bus locaux,… Une diversité de solutions, les unes plus flexibles que les autres, est indispensable pour faire face à la demande de mobilité, tantôt concentrée tantôt dispersée sur le territoire.
Enfin, dans ce nouveau contrat de service public, la dimension durable est mise à sa juste place au regard des activités du Groupe TEC. Effectivement, la meilleure manière d’améliorer l’efficacité économique et sociale, et de réduire l’empreinte écologique des activités du Groupe TEC est de mieux remplir chaque véhicule en circulation, en optimisant les services de transport offert. Cela ne signifie pas qu’il faille abandonner la desserte des zones moins peuplées mais au contraire, adapter et renforcer cette offre pour la rendre plus attractive et donc plus utilisée par la population. Les améliorations technologiques (concernant le matériel roulant ou l’isolation des bâtiments) viennent compléter cet effort pour plus de durabilité. La responsabilité sociétale de l’entreprise est donc bien mise en avant, et l’obligation pour les différentes sociétés du Groupe de réaliser un plan de déplacements d’entreprise en est un exemple concret. La valeur d’exemple devrait pouvoir ainsi être renforcée au sein du personnel du Groupe TEC. Qui sait ? Demain, verrons-nous peut-être les administrateurs (général et délégué) et les directeurs généraux se déplacer en bus ? Et il y a fort à parier qu’au-delà de la valeur d’exemple, le côtoiement au quotidien des cadres du Groupe TEC avec le personnel de conduite et les clients engendrerait de nombreux et variés effets bénéfiques !